Il y a des fleurs sauvages jaunes qui sont sorties. Les premières de l’année. Elles poussent sur le flanc sud du tas de fumier. J’ignorais leur nom jusqu’à hier. Elles poussent à travers les couleurs grises et sales d’un printemps pas comme les autres. Ça jure.

Entre deux rêveries, et parfois des gestes utiles de terre. Conversation sur un quai de chargement, avec un producteur laitier, à deux villages de la maison : 

– Il se passe quoi avec ton lait ?

– C’est aléatoire dans chaque secteur, mais hier ils m’ont dit de flusher le truck au fumier.

– Ça veut dire quoi, un camion ?

– Quatre traites. Deux jours.

Il manque de personnel dans les usines de transformation. La production des vaches dépasse largement la capacité de l’industrie. On doit se débarrasser du trop. C’est triste mais c’est comme ça. Rien de dramatique ici. Les fermiers seront payés quand même. Mais ça manque un peu de poésie.

– C’est pas une champlure, une vache, ça se met pas sur pause comme ça.

– On est accotés, hein ?

– Mets-en qu’on est accotés. Pas juste dans le lait. Partout. Ça me fait drôle de jeter ça.

J’ai souri. Parce qu’on ne sait jamais quand ni comment on rencontre ses limites.

Me suis risqué à sortir le tracteur, en dehors de sa route habituelle. Erreur. Le sol est trop mou.

Vouloir prendre de l’avance avec le fumier-engrais et l’étendre au potager – car il y a des limites à regarder la télé ou un écran pour tuer le temps, même quand il pleut. Me suis engagé dans le champ et arrêté quelques centimètres avant de caler. On sent ces choses. Ne pas sortir des sentiers battus ; rester sur le dur. Quoique c’eût été divertissant de jouer dans la bouette, pour faire changement. Changer le mal de place. Mais pas maintenant. Ça va attendre.

Comment va-t-on se débriefer de tout ceci. Que restera-t-il ? Des valeurs, certes. Une idée de bienveillance peut-être. Pas sûr. Faudra attendre.

Paraît qu’on s’est remis de toutes les apocalypses économiques de l’histoire. Paraît qu’on se relève aussi du drame des sentiments. Ce sont les fins humaines – dont on commence à voir les visages et entendre les voix – qui se réveillent. On a été sonné solide. Là, on se relève.

Ce sont les sentiments les plus modestes qui font les grandes histoires. Le temps devra faire son œuvre.

Peut-être que l’art trouvera à dire et laisser des traces. Ou ce sera une affaire d’historiens. On rouvre la société cette semaine. Faut souhaiter que le sol porte. Pour se rendre jusqu’aux souvenirs.

J’ai emprunté les Crayola aux enfants pour dessiner. On dirait que ça dégèle.

Les petites fleurs jaunes, ce sont des potentilles. Me suis assis tranquille au pied d’une clôture, une grosse heure, devant le tas de fumier, et j’ai réussi à les identifier. Y aura ça de pris.

Suis sûr que j’en ai vu pousser.

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