Alors qu’est remise en cause par certains la liberté des artistes de créer ce qu’ils veulent comme ils le veulent, des œuvres de fiction élaborées en toute liberté nous en apprennent davantage sur nos sociétés que bien des documentaires.

C’est le cas de deux films récemment plébiscités par la critique, Antigone au Québec et son homologue français, Les Misérables, récompensé la semaine dernière aux Césars avec le controversé Roman Polanski, réalisateur du film J’accuse.

Antigone contre Les Misérables

Ces deux productions portent sur les difficultés d’intégration des nouveaux arrivants dans ces vieilles sociétés d’immigration que sont le Québec et la France. On y évite de sombrer dans la caricature facile de même que dans la bien-pensance moralisatrice à la mode.

On suit dans Antigone le parcours d’une jeune Québécoise à la personnalité attachante, originaire du Moyen-Orient et déchirée, comme l’héroïne grecque donnant son nom au film, entre son désir de s’intégrer à la société québécoise et sa solidarité avec sa famille. Cette dernière est entraînée dans un drame qui n’est pas sans rappeler l’affaire Villanueva à Montréal-Nord il y a quelques années.

Il est difficile de ne pas être touché par cette histoire à la fois sans complaisance et imprégnée d’une certaine douceur québécoise.

Les Misérables, lui, fait ressortir de façon poignante une réalité française beaucoup plus hard, beaucoup plus violente, à partir du travail de trois policiers, dont un nouveau venu et un autre issu de l’immigration, dans ce qu’on appelle en France « les territoires perdus de la République ».

Alors qu’en dépit de tous les problèmes, il se dégage d’Antigone que le Québec réussit au moins en partie à intégrer ses citoyens issus de l’immigration, on ressort des Misérables inquiet pour une France dont on a l’impression qu’une partie de ses nouveaux citoyens ne se sentiront jamais français, considérant l’abîme qui les sépare de la société d’accueil.

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Antigone, de Sophie Deraspe

Banlieues françaises

On pourrait élaborer longuement sur les raisons expliquant cette différence entre les sociétés française et québécoise.

Les Français issus de l’immigration récente sont pour plusieurs les enfants de Maghrébins venus travailler de façon temporaire dans la France des années 60 et 70, et à qui le président Valéry Giscard d’Estaing accordera, plus tard, l’autorisation de faire venir leur famille.

Certains considèrent la situation pourrie dans certaines banlieues hexagonales comme une revanche indirecte des populations issues de l’ancien empire colonial français, tout particulièrement de cette Algérie avec laquelle la France a entretenu et entretient toujours une relation malsaine.

En ces domaines comme dans d’autres, la société française peut s’avérer à la fois cassante et cassable, d’une manière qui n’existe pas ici.

Cela dit, les obstacles auxquels se heurtent au Québec les populations issues de l’immigration ont des racines encore plus anciennes qu’en France.

La première est une vieille méfiance à l’égard d’une immigration qui a été régulièrement instrumentalisée, depuis la Conquête britannique au XVIIIe siècle, pour essayer de minoriser les anciens Canadiens chez eux jusqu’en 1840, les Canadiens français jusqu’en 1960 et les Québécois aujourd’hui.

La version contemporaine du phénomène consiste dans cette idéologie multiculturelle canadienne sans limites constitutionnalisée en 1982, pour laquelle les Québécois constituent une minorité culturelle parmi d’autres au pays. Un multiculturalisme qui se refuse à envoyer aux immigrants le message qu’ils doivent faire un effort pour s’intégrer à une société d’accueil dont on refuse le concept même.

Un autre obstacle à l’intégration des immigrants au Québec tient à la dévalorisation des phénomènes religieux dans une société qui a été longtemps l’une des plus catholiques qui soient et qui en est restée marquée.

Gentillesse québécoise

Ces handicaps ne sauraient faire oublier que l’intégration des immigrants, un sujet épineux dans toutes les sociétés occidentales, est au moins en partie un succès au Québec.

Une des raisons en est sans doute que le problème se vit en français, comme c’est le cas dans Antigone : l’une des réussites du Québec issu de la Révolution tranquille est d’avoir largement mis fin au phénomène malsain d’immigrants se joignant systématiquement à la minorité anglophone.

Si une partie des nouveaux arrivants est de foi musulmane, avec les problèmes que cela pose dans une société aussi peu religieuse que la nôtre, les Québécois ont à tout le moins la satisfaction de travailler à résoudre l’équation dans leur langue.

Un autre élément qui fait d’Antigone un film où il y a de l’espoir, contrairement aux Misérables, c’est la nature exceptionnellement douce de l’identité québécoise, quelque chose que notent vite les étrangers de passage ici.

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Les Misérables, de Ladj Ly

Et cela remonte à loin. James Murray, le premier gouverneur britannique de la Nouvelle-France fraîchement conquise, avait été également séduit par la gentillesse des anciens Canadiens qu’il ira jusqu’à décrire, dans une lettre au ministre anglais des Colonies, comme « peut-être la race la meilleure et la plus brave au monde […], un peuple que j’aime et que j’admire ».

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