On a fait grand cas du Wexit, le mouvement séparatiste de l’Ouest qui a pris de l’ampleur dans les dernières années.

La frustration albertaine est directement liée à l’opposition systématique de la Colombie-Britannique et du Québec au passage de pipelines qui permettraient un plus grand débouché pour le pétrole albertain qui souffre d’enclavement aigu.

Mais quelle serait notre perception de l’équité canadienne si nous étions à leur place ?

Examinons d’abord la production de pétrole issue des sables bitumineux.

Le développement de l’industrie s’est accéléré. L’Alberta produit aujourd’hui environ le double de barils de pétrole bitumineux qu’il y a 10 ans, soit approximativement trois millions quotidiennement, et prévoit augmenter cette cadence à plus de quatre millions d’ici 10 ans. C’est le double de ce que le Canada en consomme dans tout le pays.

L’empreinte environnementale de cette production est gigantesque. Les émissions de gaz à effet de serre (GES) de l’Alberta dépassent les 270 millions de tonnes en 2018. Trois raisons expliquent cet écart spectaculaire avec l’empreinte du Québec qui, elle, n’était que de 77 millions de tonnes malgré une population presque deux fois plus importante : la production de pétrole, mais aussi leur production d’électricité qui repose en grande majorité sur des usines au charbon et au gaz naturel et leur chauffage qui, lui, est alimenté par le mazout.

PHOTO DARRYL DYCK, ARCHIVES LA PRESSE CANADIENNE

« Les Albertains sont très entrepreneuriaux : 5 des 25 entreprises canadiennes les plus rentables y sont situées », souligne Alexandre Taillefer.

Brûler un baril de pétrole, peu importe où il est produit, génère 384 kg de GES. À cet impact doit s’ajouter celui de la production qui représente dans le meilleur des cas 40 kg supplémentaires et dans le pire (lire : pétrole provenant de sables bitumineux), 120 kg. Et le Québec en raffine autant que l’Alberta.

En d’autres mots, le pétrole de l’Alberta est légèrement plus polluant que la moyenne mondiale, avant raffinage et transport. Mais n’y a-t-il pas un solide argument pour que la production du pétrole doive plutôt figurer sur le bilan de celui qui le consomme ?

Et la péréquation ?

Voilà un autre sujet qui fait grincer les dents des Albertains. Quand on sait que les Québécois sont les plus importants bénéficiaires de ce mécanisme d’égalisation du niveau de vie et de l’accès aux programmes sociaux, mais que nous sommes les plus farouches opposants aux gazoducs, on peut comprendre leur gronde quand ils envoient 5 milliards de dollars de plus qu’ils n’en récoltent du gouvernement fédéral. Sans même parler du déficit albertain comparé au surplus du Québec. Je vous garantis que plus d’un chroniqueur québécois en ferait ses choux gras quotidiennement.

Les Albertains, entrepreneurs d’exception

Les Albertains sont très entrepreneuriaux : 5 des 25 entreprises canadiennes les plus rentables y sont situées. Elles sont toutes dans le secteur des ressources naturelles. Elles ont généré l’année dernière près de 15 milliards de profit, après avoir payé des milliards en royautés au gouvernement provincial. C’est un actif formidable qu’ils veulent préserver à tout prix.

Que pourrait faire le Canada pour rallier l’Alberta ? C’est sur une combinaison de nouveaux projets ambitieux et innovateurs et sur un repositionnement de ces géants économiques qu’il faut miser.

De nombreux fonds d’investissement se retirent des entreprises pétrolières, comme le géant BlackRock, qui a annoncé la semaine dernière que les investissements durables allaient devenir la norme pour eux. Les analystes sont de plus en plus nerveux pour le prix du pétrole passé 2025. 

Les perspectives de croissance de l’industrie albertaine ne sont pas alignées avec une lecture de plus en plus pessimiste des investisseurs mondiaux face à une industrie qui pourrait décroître plus rapidement qu’on le croyait.

Quelles solutions ?

Quelles sont les pistes de solutions pour permettre à l’Alberta de conserver un espoir tout à fait légitime pour son développement économique et le maintien du niveau de vie de ses citoyens ? Comment permettre un atterrissage en douceur de sa plus importante industrie et de ses quelque 145 000 emplois ?

Comme le suggérait Paul Krugman dans sa chronique « Australia shows us the road to hell » publiée dans le New York Times, il faut cesser de lutter contre les grandes entreprises qui ont un impact négatif sur l’environnement et leur proposer plutôt un pacte qui les attirera et nous permettra d’atteindre les cibles de réductions de GES par ricochet.

Quelques idées qui pourraient alimenter un « Green New Deal »

Lancer un programme extrêmement ambitieux nécessitera des investissements publics de dizaines de milliards. Il pourrait inclure les éléments suivants : 

 – Permettre une accélération de l’amortissement des actifs des entreprises pétrolières si elles acceptent de limiter leur production à leur seuil actuel. Avec plusieurs centaines de milliards d’actifs non amortis et les perspectives que de plus en plus d’analystes anticipent pour le secteur de l’énergie fossile, les actionnaires pourraient y voir un intérêt certain.

 – Permettre une déduction immédiate des investissements effectués dans l’amélioration écologique des procédés de production pour ramener l’impact environnemental au niveau de la moyenne mondiale.

 – Lancer un ambitieux projet de production d’énergie verte en offrant de généreux incitatifs pour attirer les grandes entreprises du secteur énergétique traditionnel qui ont le bilan requis pour s’y atteler. Sachant qu’à peine 5 % du potentiel hydraulique de l’Alberta est aujourd’hui exploité et qu’elle bénéficie d’un ensoleillement supérieur à celui de Miami, l’Alberta pourrait en moins de 10 ans devenir une exportatrice nette d’électricité verte, ce qui lui permettrait de remplacer une partie des royautés qu’elle touche sur le pétrole.

 – Financer l’implantation de programmes sociaux visant à soutenir une transition vers cette nouvelle économie. Les premiers secteurs qui pourraient en bénéficier devraient inclure la formation des adultes dans le cadre de programmes de requalification.

Une telle reconfiguration doit impérativement exclure l’élargissement du gazoduc Trans Mountain. Ce programme doit être stoppé pour des raisons environnementales, mais aussi économiques. Au premier ministre Trudeau d’articuler un Green New Deal qui permettra au Canada de démontrer son leadership. Et aux provinces de l’Ouest de redéployer leur important capital et surtout leur admirable sens entrepreneurial.

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