Le gouvernement Trudeau prendra prochainement une décision stratégique aux graves conséquences géopolitiques en décidant d’exclure ou non l’équipementier chinois Huawei de la construction des réseaux de communication sans fil de la prochaine génération.

Les réseaux 5G seront 50 fois plus rapides que les 4G actuels et permettront la connexion d’une grande quantité d’objets, en plus des téléphones portables.

Huawei est déjà un fournisseur d’équipements 4G de Bell et de Telus et ceux-ci voudraient le sélectionner, du moins pour les éléments périphériques de leur réseau 5G. Rogers a plutôt choisi le suédois Ericsson, tandis que Vidéotron a préféré le coréen Samsung.

Le finlandais Nokia et le chinois ZTE sont les autres fournisseurs, mais aucun n’égale Huawei pour la qualité, la gamme complète de ses produits et leur coût avantageux.

Le gouvernement américain exerce cependant une forte pression sur ses alliés pour qu’ils excluent totalement Huawei de leurs réseaux, existants et à venir, craignant que le gouvernement chinois puisse s’y ménager une porte secrète pour espionner. Des précédents semblent lui donner raison et la surveillance de masse des citoyens chinois par leur Big Brother donne froid dans le dos.

Le Service canadien du renseignement de sécurité aurait recommandé d’interdire Huawei, tandis que le Centre de la sécurité des télécommunications jugerait que le risque peut être limité en imposant des critères stricts et une surveillance étroite, a rapporté le Globe and Mail.

Les Américains menacent de ne plus partager de renseignements secrets avec leurs proches alliés du Five Eyes si ceux-ci n’excluent pas Huawei. Le Canada en est membre avec le Royaume-Uni, l’Australie et la Nouvelle-Zélande. Les deux derniers ont obtempéré, mais on attend avec impatience la décision des Anglais, dont le chef du contre-espionnage minimise la menace américaine.

Coincé entre deux feux

La décision est compliquée par l’arrestation de Meng Wenzhou, chef des finances et fille du patron de Huawei, à la demande des Américains qui reprochent à l’entreprise d’avoir vendu du matériel à l’Iran. Un tribunal entend la cause de l’extradition vers les États-Unis de Mme Wenzhou, en liberté surveillée à Vancouver.

Les Chinois jouent dur. Ils ont répliqué en arrêtant sous des prétextes fallacieux deux Canadiens, Michael Kovrig et Michael Spavor, emprisonnés depuis plus d’un an dans des conditions difficiles. Ils ont aussi bloqué l’importation de 5 milliards de dollars de produits agricoles canadiens.

La décision du gouvernement Trudeau choquera l’un de nos deux plus importants partenaires commerciaux. Et s’il trouve une manière de couper la poire en deux, comme certains le suggèrent, cela pourrait possiblement déplaire aux deux pays.

Or, cette décision n’est ni purement d’affaires ni seulement un jugement sur le risque d’espionnage. Elle est aussi économique et géopolitique.

En 2018, 75 % de nos exportations de marchandises prenaient le chemin des États-Unis, contre 5 % vers la Chine. Nos importations provenaient à 51 % des États-Unis et à 13 % de la Chine. Le gouvernement a adopté une stratégie de diversification commerciale, qui se justifie notamment du fait que la Chine deviendra un jour la première puissance économique mondiale, en raison de son immense population de plus en plus éduquée et de ses investissements massifs dans les technologies de pointe.

L’économie chinoise est déjà 27 % plus grande que l’économie américaine, selon le PIB mesuré en parité des pouvoirs d’achat. Mais les Américains sont encore au moins trois fois plus productifs et plus riches, si cette mesure est exprimée en PIB par habitant.

On aimerait être rassurés par l’adoption du nouvel ALENA et par le tout récent accord commercial, intérimaire et limité, entre la Chine et les États-Unis. Toutefois, ce dernier n’est au mieux qu’une trêve d’ici à l’élection présidentielle de novembre. Le conflit commercial perdurera, même si un démocrate remportait la présidence, car la dispute est plus profonde que le mercantilisme et l’impulsivité de Trump.

Découplage technologique

Malgré la polarisation politique aux États-Unis, un consensus y émerge pour contrer les avancées chinoises. Le principal enjeu : la suprématie technologique, qui n’est plus assurée pour les Américains.

L’imbrication actuelle des chaînes d’approvisionnement, illustrée par l’assemblage des iPhone en Chine et l’achat de composantes américaines par Huawei, va se disloquer. Les deux pays évolueront vers des standards incompatibles.

Ce découplage technologique aura des ramifications importantes, étant donné la pénétration des technologies de l’information dans toute l’activité économique. Les pays tiers, dont le Canada, devront s’aligner d’un bord ou l’autre, selon les sphères d’influence des deux grandes puissances.

Les Américains ne l’avouent pas volontiers, mais derrière la rivalité technologique, se profile l’anxiété d’une puissance dominante qui craint d’être graduellement éclipsée par son rival chinois qui, gagnant en assurance, veut prendre la place qu’il estime mériter.

On aimerait pouvoir ménager la chèvre et le chou, mais il faudra choisir. Même si l’actuel occupant de la Maison-Blanche nous horripile, la géographie, l’histoire, les valeurs communes et l’intégration de nos économies dictent notre camp, celui des États-Unis. Ainsi le Canada devra renoncer à Huawei, quoique le prix en sera élevé.

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