Ce fut un excellent spectacle.

Entente avec la Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ). Le premier ministre en Californie. Des données complexes au premier regard. Un cheval de Troie, l’Institut de la pertinence. Une date bien choisie, la veille du dépôt des offres gouvernementales au secteur public. On passe à un autre appel dès le lendemain.

Revenons à la genèse de cette entente et ce qu’elle est vraiment.

D’abord, le duel. D’un côté, la FMSQ avec une entente signée en bonne et due forme, une position extrêmement forte juridiquement, voire constitutionnellement. Un avocat prestigieux, le mentor de l’actuel premier ministre.

De l’autre, ce même premier ministre pris avec sa promesse d’aller récupérer 1 milliard dans les poches des médecins spécialistes. Une seule arme à sa portée : une loi spéciale. On dit que pendant la campagne de 2018, M. Legault aurait rencontré Diane Francœur à cet effet. La menace est forte et se conjugue avec une opinion publique favorable au gouvernement et trois bâillons successifs.

Alors, avec une position aussi solide juridiquement, pourquoi la FMSQ a-t-elle cédé ? Pour la paix sociale ? Non. Pour ce qu’il y avait dans une éventuelle loi spéciale ? Absolument.

La même mécanique est en cours avec la Fédération des médecins omnipraticiens du Québec (FMOQ).

La menace

Depuis l’avènement de l’assurance maladie, les deux pièces législatives les plus transformatrices quant aux rapports entre la profession médicale et l’État auront été les lois 20 et 130. L’opposition des deux fédérations fut virulente. Pour la première fois, une loi aurait donné un droit de regard à l’État sur non pas l’acte médical, mais sur le comportement organisationnel du corps médical. Les patients sont préparés à 7 h 30 et le médecin arrive systématiquement à 9 h ? Terminé. Une association de spécialistes s’engage à couvrir les bris de services en région, mais il y en a quand même ? Pénalités monétaires.

Un article de la loi 130 prévoyait des réaménagements tarifaires unilatéraux en cas de dérapages (ex. cataractes), mais sans toucher l’enveloppe globale. Une vraie révolution, perçue par les fédérations comme une attaque au sacro-saint statut d’entrepreneur totalement (trop) indépendant de l’institution, du réseau. Viscéralement inacceptable, de l’opinion des médecins. Nécessaire, selon moi.

Les lois 20 et 130 étaient pour moi l’intérêt des patients d’abord. Une responsabilisation du corps médical. Un arbitrage évolutif (tarifs). Exclu de la négociation, elle se termine autrement. Malgré leur adoption, certains articles sont suspendus. Nous sommes battus. Arrive la CAQ.

560 millions de « la poche des médecins » ?

Les affirmations de M. Dubé sont-elles rigoureuses ? On en doute lorsqu’il affirme que les revenus des médecins spécialistes égalent l’enveloppe totale divisée par le nombre de médecins, soit 5,5 milliards divisé par 10 000.

C’est faux. « L’enveloppe » n’étant pas totalement versée, « payée » aux médecins. Cette moyenne de revenus est donc obligatoirement inférieure à ce que donne son calcul.

L’entente comprend trois éléments. Premièrement, un ajustement de l’enveloppe aux sommes réellement « payées » aux médecins. La rémunération des chefs (65 millions), l’évolution de pratique ramenée à 1 % (206 millions), la plupart du médico-administratif (48 millions) constituent des sommes prévues, mais non « payées » aux médecins spécialistes. Il y a bel et bien là une récupération par le gouvernement d’une somme, 320 millions, provenant de « l’enveloppe », mais pas de « la poche » des médecins.

Deuxièmement, le cheval de Troie : l’Institut de la pertinence. L’objectif absolu : récupérer 240 millions, vraiment dans leurs « poches ». Pas un sou de plus ni de moins, et ça arrivera. Comment ? Par « l’application » temporaire de la loi 130, de « LA » menace, renommée l’Institut. Le gouvernement dit aux médecins : vous devez participer à un comité bipartite pour proposer des baisses (pas des abolitions) de tarifs. Choisir qui, parmi vos membres, va écoper.

Vos propositions ne font pas consensus ? Un conseil de règlement tranchera. Vous refusez de participer ? Une coupe tarifaire paramétrique s’en suivra, à hauteur de 240 millions. C’est-à-dire moins 4 %. Pas d’entente ? Loi spéciale, laquelle imposera « la loi à Barrette » (comme ils disent). Le choix était simple. C’était 20 et 130 en permanence ou 130 « temporaire ». Vous l’aurez compris, cette finalité de l’Institut se termine avec l’entente.

Nous sommes tous d’accord avec l’élimination des actes inutiles.

Mais un acte inutile est toujours remplacé par un acte utile. C’est positif pour la liste d’attente, mais sans effet sur les revenus des médecins.

Troisièmement, la garantie de couverture des bris de services en région pour les spécialités de base. La loi 130 le garantissait sous peine de pénalités. L’article avait été suspendu, car la FMSQ, en 2018, effrayée, s’était engagée à le faire sous peine de la levée de la suspension. Malgré de nombreux bris, la suspension a été maintenue. Maintenant, ça marcherait ? Doutons-en !

La victoire ultime

M. Dubé a affirmé en conférence de presse que son « étude » établissait qu’en considérant les écarts de richesse entre les provinces, le point de parité pour les médecins québécois était à 10 % de plus qu’en Ontario !

Exit la position du premier ministre : « Ce n’est plus la moyenne canadienne, mais la moyenne avec l’Ontario qui sera utilisée [-9 %]… a confirmé François Legault » (24 octobre).

Résumons. 

1) Démonstration faite, la moyenne de rémunération des médecins spécialistes québécois, la « payée », passera d’ici 2023 de 10 % de plus à 6 % de plus qu’en Ontario (l’effet du 240 millions). 

2) L’application intégrale des lois 20 et 130 est évitée. 

3) L’institut de la pertinence, dans sa capacité de toucher aux tarifs, meurt en 2023. Ce qui nous amène à la victoire ultime.

4) En effet, M. Dubé, de facto, statue que la « bonne » position des médecins sera à terme à 6 % de plus qu’en Ontario, pas 9 % de moins ! Rappelons que le rattrapage que j’ai négocié en 2006 visait l’Ontario moins 10 % ! Dès maintenant, un cadeau de plus de 600 millions récurrent ! D’ici 2023, ce sera une ponction globale de 1,6 milliard (720 millions de leurs poches) compensée par un cadeau « de positionnement » de 1,8 milliard. Avec en prime un point de départ de négociation d’autant majoré et formellement admis en 2023 !

À la FMSQ, sur ces deux derniers points, on a sabré le champagne, car le piège tendu a fonctionné. Ainsi, Dre Francœur a raison, ce fut le plus beau jour de son mandat…

* Gaétan Barrette a été ministre de la Santé et des Services sociaux de 2014 à 2018, et président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec de 2006 à 2014.

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