Pendant la dernière campagne électorale, nombreux sont les connaisseurs qui ont remis en question la pertinence du Bloc québécois à Ottawa. Je parle de ces gens qu’on entend répéter qu’il est préférable d’être assis à la table où se prennent les décisions que de vociférer dans l’opposition. C’est une vérité qui n’est pas à l’abri de la nuance. 

En cause, quand on regarde les gains obtenus par la délégation de 40 députés qui nous ont représentés dans le premier mandat Trudeau, on réalise assez rapidement qu’on peut être à cette fameuse table des décisions sans parler et qu’on peut aussi y parler sans être écouté. Est-ce que la voix du Québec y a été entendue lorsqu’on a voulu qu’on taxe Netflix ou qu’on choisisse Montréal pour abriter la banque des infrastructures ?

Quand venait le temps de parler des vraies affaires économiques, il faut être naïf pour croire que Toronto et Montréal combattaient à armes égales dans le ring décisionnel de la précédente mouture de ce gouvernement. Sinon, qu’on nous explique d’où venait la résistance à aider Bombardier pendant ces tribulations qui nous ont fait perdre la C Series. Qu’on nous explique aussi pourquoi la Davie a été si longuement mise de côté dans la Stratégie nationale de construction navale qui représente des dizaines de milliards provenant en partie de nos taxes.

Aujourd’hui, tous les observateurs avisés semblent reconnaître que le Québec est plus influent dans la version 2.0. Mais pourquoi M. Trudeau a-t-il décidé de faire un peu plus attention au Québec ? Pourquoi a-t-il augmenté notre représentation dans la garde rapprochée susceptible d’influencer ses décisions ? Pourquoi a-t-il accepté enfin d’avoir un lieutenant québécois ? Pour une seule raison : le puissant signal que représente l’élection des 32 députés bloquistes.

Cette renaissance du Bloc a rappelé à Trudeau que malgré la réticence des gens d’ici à embrasser l’idéologie conservatrice et le retrait de la vague orange, une bonne partie du Québec refuse d’être un électorat captif pour les libéraux.

Ce nouveau gouvernement, où le Québec est mieux représenté quantitativement et qualitativement, est une démonstration que la présence significative du Bloc à Ottawa a déjà indirectement donné des résultats positifs.

Le rebrassage des cartes provoqué par l’arrivée des troupes de M. Blanchet a fait perdre des as à M. Trudeau, qui est maintenant forcé de se concentrer un peu plus sur son jeu s’il veut rafler la mise au prochain rendez-vous électoral. En amour comme en politique, il y a une loi fondamentale qui dit : « Fuis-moi et je te suis, mais suis-moi et je te fuis. »

Évidemment, le Bloc ne sera pas autour de la table de décision, mais rien de l’empêche de fouiner activement pour dénoncer les cachotteries et autres manigances défavorables au Québec qui pourraient se tramer sous cette même table de décision. J’ai un exemple en tête. Lorsque le ministre fédéral des Finances, Bill Morneau, glissa dans le projet de loi omnibus C-29 une disposition qui aurait permis aux banques de contourner la Loi sur la protection du consommateur du Québec, c’est à la maigre représentation du Bloc qu’on doit en grande partie la levée de boucliers qui avait permis de nous sauver la peau.

C’est aussi ça, la partie immergée de la politique canadienne. Le Canada, c’est une fédération de territoires aux intérêts économiques et culturels très divergents. Chaque province essaye de tirer la couverte de son côté et il est impossible de créer un équilibre harmonieux entre les économies pétrolières et les régions sans hydrocarbures.

En fait, le fonctionnement de la fédération canadienne rappelle un peu celui d’un ménage polygame. Pour cause, même si un ménage polygame semble harmonieux en apparence, il demeure très souvent un haut lieu de partisanerie au service des seuls intérêts du mari qui sait diviser pour mieux régner.

Pour mieux visualiser ce mélange entre politique et division, il suffit de se souvenir comment, pour gagner ses élections, M. Trudeau a instrumentalisé les Jason Kenney, Doug Ford et Blaine Higgs en les présentant comme les méchants amis d’Andrew Scheer dont il fallait absolument se protéger. Ces premiers ministres conservateurs ont été pour la campagne de Justin ce que les Mexicains ont été à l’élection de Trump. Mais à la différence du président américain, une fois élu, M. Trudeau a sorti son aiguille pour essayer de rapiécer ce qu’il a déchiré. Il a mandaté Chrystia Freeland, la meilleure carte de son jeu, à ce travail de raccommodement qui nécessitera des sacrifices.

Espérons d’ailleurs que l’unité canadienne ne sera pas la prochaine excuse du premier ministre pour justifier son immobilisme face aux changements climatiques dont il nous a parlé ad nauseam pendant la campagne électorale avec l’appât nommé Guilbeault, frétillant au bout de son hameçon.

Pendant que Mme Freeland se consacrera à éteindre le feu allumé à l’Ouest, M. Rodriguez s’attellera à rallumer la flamme dont la disparition a fait renaître le Bloc de ses cendres. Voilà deux pièces maîtresses de la réponse de M. Trudeau au message qu’il dit avoir reçu le 21 octobre. Mais, même si beaucoup de gens du Québec semblent se réjouir de ce changement d’attitude, il faut espérer que cette nouvelle main tendue ne cache pas cette vieille tactique qui a fait ses preuves bien au-delà de la politique.

PHOTO BLAIR GABLE, REUTERS

Justin Trudeau et son nouveau lieutenant du Québec, Pablo Rodriguez

Quand il voit sa femme faire ses bagages, il arrive que le mari qui avait perdu de son romantisme change de ton, devient avenant, attentionné, à l’écoute et respectueux. Il jure à la belle qu’il a entendu son message et qu’il va se métamorphoser durablement. Mais on connaît la suite. Une fois la femme amadouée et le calme revenu dans la maisonnée, les mauvaises habitudes du conjoint peuvent revenir au galop. L’histoire du Québec dans le fédéralisme canadien est jalonnée de ces successions de déception suivies de nouvelles initiatives de séduction venues d’Ottawa qui mènent souvent à la désillusion suivante. On verra si le lieutenant Pablo sera plus souvent à Ottawa pour faire avancer nos dossiers qu’à Montréal pour nous faire avaler des pilules bien enrobées en provenance de Bay Street à Toronto.

Oui, le Bloc ne fera pas l’indépendance du Québec, qui semble bien loin dans les préoccupations d’une bonne partie des électeurs qui ont voté pour l’équipe de M. Blanchet. Mais même si on ne veut pas faire la guerre, rien n’empêche d’avoir une armée de dissuasion en plus des représentants autour de la table des décisions. De toute façon, si l’objectif des libéraux est de démontrer aux Québécois qu’ils n’ont pas besoin du Bloc, celui du Bloc sera de prouver l’inverse. Et le grand gagnant de cette confrontation très démocratique sera connu au prochain rendez-vous électoral.

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