Comme tous les immigrants que je connais, je suis pour des politiques qui promeuvent le français. Je suis fière d’être une enfant de la loi 101 qui a reçu toute son éducation en français, et qui aujourd’hui maîtrise cette belle langue en plus de parler quatre autres langues.

Des moyens incitatifs pour valoriser le français au Québec, il y en a une tonne ; utilisons-les. Mais cette nouvelle mesure punitive que propose le ministre Simon Jolin-Barrette (selon laquelle les nouveaux arrivants ne pourront plus communiquer en anglais avec l’État québécois, que ce soit pour obtenir des services ou recevoir des factures) brime les droits des citoyens et touche démesurément les personnes âgées ou vulnérables dont la capacité à apprendre une nouvelle langue est réduite.

L’histoire d’immigration de ma famille en est une démonstration.

L’histoire de ma mère

Ma mère a reçu une bourse pour faire son doctorat à l’Université McGill en 1988. Elle a quitté seule son pays dans l’espoir de réaliser ses rêves d’une vie meilleure quand j’avais seulement 2 ans. Un an plus tard, sur fond des massacres de la place Tiananmen, mon père et moi avons fait le saut pour aller la rejoindre. C’est ainsi que je suis devenue citoyenne canadienne et québécoise d’adoption.

Mandarin à la maison, anglais à la garderie, français à l’école : mon cerveau d’enfant très adaptatif a bien vécu ce nouveau trilinguisme. Mais ce n’était pas aussi facile pour mes parents dans la trentaine. Ma mère, douée pour les langues, a réussi à apprendre le français « sur le tas » malgré des études à temps plein en anglais et un boulot. Elle a fini par se remarier avec un « Québécois de souche » et à s’intégrer sans trop d’anicroches.

L’histoire de mon père

Mon père, c’est une autre histoire. Ingénieur agricole de formation, issu d’une famille de sept tissée serré, il a tout laissé pour suivre la femme qu’il aimait. Mais son talent linguistique n’était pas à la hauteur. À 33 ans, il a réussi à apprendre un anglais fonctionnel, mais n’est jamais parvenu à maîtriser le français.

Avec peu d’occasions d’emploi dans son domaine et la barrière linguistique surajoutée, le diplômé universitaire qu’il était a dû passer par la restauration et la conciergerie, pour devenir propriétaire de dépanneur et finir ensuite sur les bancs du cégep.

Il s’est recyclé dans un domaine qui répondait davantage « aux besoins du marché du travail québécois » et a contribué pendant plus de 30 ans de sa vie à la société au mieux de ses capacités. En parallèle, il a élevé une fille (moi), devenue médecin. Sa retraite en toute tranquillité d’esprit, il l’a bien méritée, qu’on se le dise.

Or, le gouvernement Legault désire maintenant lui faire la vie dure. Après trois décennies dans cette belle province, mais ne faisant partie ni de la « minorité historique anglophone » ni de la communauté autochtone, il n’aura plus le droit de communiquer avec l’État en anglais même s’il ne comprend pas le français. Il ne pourra plus lire ses lettres ni appeler un ministère de façon autonome. Il sera relégué au rang de citoyen de seconde classe.

Et tout ça dans quel but ? M. Jolin-Barrette pense-t-il faire avancer le français au Québec en barrant un homme à la retraite des services de l’État ?

Pense-t-il que tous ceux qui n’ont pas réussi à apprendre le français, c’était par paresse ou par mauvaise foi ? Ne comprend-il pas qu’on n’a pas tous le même potentiel linguistique, ce que démontrent bien les parcours divergents de ma mère et de mon père ?

Les immigrants, un atout pour le Québec

Des histoires comme celle de mon père, il y en a plein parmi les nouveaux arrivants. Quiconque ne l’a jamais vécu ne comprendra jamais l’immense adversité inhérente au déracinement culturel et linguistique.

Mais il suffit d’une génération pour que ces barrières tombent.

Je ne connais aucun immigrant de deuxième génération qui ne maîtrise pas le français et qui ne s’est pas intégré admirablement dans la société québécoise.

Les immigrants comme mon père ne sont pas des menaces pour le français ; au contraire, ils engendrent des enfants et plusieurs générations futures de citoyens intégrés et participatifs. Ils sont un atout pour le Québec et pour la francophonie.

Appliquer la réforme à des entreprises pour encourager le français comme langue de fonctionnement, soit. L’industrie aura les moyens de se défendre. Mais appliquer la même politique à des individus comme mon père, ça n’a aucun bon sens.

Au nom de mon père et de toutes les personnes touchées par cette mesure, je demande au gouvernement Legault de repenser sa réforme linguistique pour aller vers l’inclusion et la promotion du français, plutôt que l’exclusion.

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