J’en avais assez de la partisanerie qui continue de faire dérailler les débats à la Chambre haute

Dès que la CBC a annoncé ma démission au beau milieu de la soirée électorale, une amie sénatrice m’a envoyé un courriel aussi étonné que bref : « Pourquoi ? »

Dans la lettre de démission que j’ai fait parvenir le 10 octobre à la gouverneur générale, j’ai tenté de répondre à cette question le plus succinctement possible : « Dans tout cheminement professionnel, il peut venir un temps où l’on constate que l’on n’a pas les aptitudes et la motivation nécessaires pour accomplir la tâche qu’on nous a confiée. Après trois ans et demi au Sénat du Canada, telle est la conclusion à laquelle j’en arrive. »

Je croyais que c’était clair, mais ce passage a suscité plus de questions encore. « Ça veut dire que vous êtes tanné ? », m’a demandé Paul Arcand. Oui… et non. Je n’étais pas « tanné » de travailler en compagnie de sénatrices et de sénateurs de haut calibre, venant de tous les coins du pays, dévoués et travaillants, n’ayant à l’esprit que le bien public. Mais, oui, j’étais « tanné » de la partisanerie sous toutes ses formes qui continue de faire dérailler les débats à la Chambre haute. Et ce malgré la nomination, par le premier ministre Trudeau, d’une majorité de sénateurs « indépendants ».

Il faut des qualités particulières – notamment, une carapace des plus épaisses – pour naviguer sans sombrer sur une mer partisane. L’opposition a pour seul objectif – chez certains, cela relève de l’obsession – d’embarrasser le gouvernement et de freiner le processus législatif. Le gouvernement veut faire adopter ses projets de loi le plus rapidement possible, peu importe les améliorations que peuvent suggérer les sénateurs qu’il a lui-même nommés, supposément en raison de leur compétence.

Totalement indépendant

En politique, les deux attitudes – l’opposition forcenée, l’arrogance de l’exécutif – sont compréhensibles, peut-être inévitables. Sauf que, pour ma part, j’avais résolument décidé d'être totalement indépendant des partis politiques, ce qui veut dire autant le gouvernement libéral que l’opposition conservatrice. Plus souvent qu’autrement, je me suis retrouvé coincé entre les deux camps, incapable de faire valoir mes arguments à l’un ou à l’autre, la raison ne pesant pas lourd lorsque les intérêts partisans sont en cause.

Un exemple parmi tant d’autres. Pendant le « scandale SNC-Lavalin », après que les libéraux ont tué dans l’œuf l’enquête d’un comité de la Chambre des communes, les sénateurs conservateurs ont tenté de relancer l’investigation au Sénat. Sauf que leur motion en ce sens puait la partisanerie. Le gouvernement ne voulait évidemment rien savoir. Pour ma part, j’estimais qu’il était certainement souhaitable qu’une telle enquête ait lieu, dans la mesure où la démarche serait la plus objective et la mieux balisée possible.

Avec des collègues, j’ai travaillé sur une motion alternative. Notre seule préoccupation était l’intérêt public. Résultat : de part et d’autre, on s’est moqué, on a dénoncé ; le gouvernement m’a accusé d’être « égoïste », les conservateurs, de « faire le jeu du gouvernement ». Notre motion est morte au feuilleton, victime de la partisanerie.

Le même sort a été réservé à plusieurs propositions et amendements législatifs. Je pense, notamment, à la motion proposée par mon amie Julie Miville-Dechêne, à la défense des Franco-Ontariens à la suite des compressions décidées par le gouvernement de l’Ontario. La sénatrice a tout fait pour obtenir le soutien unanime des sénateurs, ce qui s’imposait sur un sujet aussi essentiel. La Chambre des communes y était parvenue ! Mais au Sénat, l’initiative de mon ex-collègue a été bloquée par un petit groupe de sénateurs conservateurs, dont la seule préoccupation était de protéger le gouvernement de Doug Ford de tout ce qui pouvait ressembler à une critique.

Les sénateurs indépendants vont travailler fort, au cours du prochain Parlement, pour apporter les changements légaux et réglementaires visant à libérer le Sénat de la discipline de parti et à le rendre plus efficace (c’est fou, les heures qui se perdent en manœuvres procédurales partisanes !). Ces changements sont absolument essentiels et j’appuie de tout cœur mes ex-collègues dans leurs démarches. Sauf que ça prend la couenne dure, du courage pour mener une telle bataille. C’est un courage que je n’ai pas. En tout cas que je n’ai plus.

Pas un politicien

Je ne suis pas un politicien de carrière, qui multiplie les selfies et les tapes dans le dos pour se faire des électeurs et des alliés. Je suis résolument indépendant, et solitaire. J’étudie les problèmes et je cherche des solutions raisonnables, dans ce que je crois être l’intérêt public de l’ensemble du pays. Ils sont nombreux comme moi dans le Sénat d’aujourd’hui. J’envie leur courage et leur abnégation. Pour ma part, j’en suis venu à la conclusion qu’il n’y avait pas – pas encore en tout cas – de véritable place pour ce genre d’approche au Sénat. J’ai été naïf. C’est moins la faute du Sénat que la mienne.

D’abord et avant tout, cette décision est personnelle. J’ai 62 ans. Je n’avais pas de cause à porter au Sénat, comme plusieurs sénatrices et sénateurs. Si je veux réorienter ma carrière, m’investir dans des choses où les quelques qualités que je possède sont utiles, je dois en saisir l’occasion maintenant.

J’ai beaucoup appris. Sur le Canada. Sur la politique. Et, surtout, sur moi-même. C’est parce que j’ai appris tout cela que j’ai pris cette décision.

Alors, la semaine dernière, j’ai quitté la colline parlementaire la gorge nouée, habité par un profond sentiment d’échec. Je vais me relever, je l’ai déjà fait. Mais il me semble que cette fois-ci, les jambes sont moins solides…

* L’auteur prépare un livre sur son expérience au Sénat, qui sera publié à l’hiver aux Éditions La Presse

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