Il y a quelques jours, je relisais la dissertation de Thomas Gunzig du 16 septembre 2009 sur les profs, les vaches et l’argent.

Avec une lucidité toujours actuelle, il écrivait en résumé ce qui suit : « J’ai toujours bien aimé les vaches. Une vache, c’est incroyable comme ça se laisse faire : on lui dit de sortir et elle sort, on lui dit de rentrer et elle rentre, on lui dit de ne plus bouger et elle ne bouge plus et elle donne son lait. Parfois, il m’arrive de me dire que si toutes les vaches du monde avaient soudain envie de manger de la viande, que si elles décidaient de ne plus partager, on aurait du souci à se faire. Parfois, quand je vois les profs, je me dis que c’est un peu comme ces vaches que j’aime bien. Ça vit dans l’inconfort de ces écoles qui se décomposent lentement, faute de moyens. Comme les vaches, les profs, c’est plutôt docile : ça rentre quand on leur dit de rentrer, ça sort quand on leur dit de sortir, ça se tient tranquille… Et puis ça donne… Pas du lait évidemment, mais du savoir… Et comme le lait, ce savoir, tout doucement ça fabrique des petits adultes. Il m’arrive souvent de me dire que le jour où les profs en auront marre, on aura tous du souci à se faire. Et si c’est le même jour que les vaches, nos enfants que nous aimons tant finiront maigres, déminéralisés, démoralisés et finalement assez crétins. En un mot la fin du monde. » 

Je crois bien que nous en sommes là.

En cette période de renouvellement de convention collective, je suis consternée par le nombre de rapports sur l’école québécoise qui sortent comme par hasard tous en même temps cet automne. Et elle en prend pour son grade ! Or, elle n’est pas la pire. Elle est le reflet de la société dans laquelle elle n’a pas le choix d’exister. 

À ces derniers rapports s’ajoute le projet de loi 40 sur la fin des commissions scolaires. Je laisse aux experts le soin de décortiquer ledit projet et je me contenterai d’une approche plus humaniste.

Ce qui m’inquiète, c’est de voir la démocratie scolaire disparaître par le biais d’un discours populiste fondé sur la critique du système en s’adressant aux classes populaires souvent avides de sophismes parfois bien malgré elles.

Au lieu de soutenir les élections scolaires en les organisant en même temps que les élections provinciales, on les abolit et on crée d’immenses sortes de pouvoirs organisateurs gérés comme des entreprises privées, reines des profits, pour mettre fin à des abus de biens sociaux soi-disant commis par certains élus scolaires et pour bâtir des écoles à la carte. Les petites économies engendrées créeraient l’engagement de 160 professionnels alors que le secteur de l’éducation connaît une pénurie sans précédent de personnel, que sa rétention ne passe plus depuis belle lurette par des augmentations de salaire au nom de l’expertise et de l’expérience, contrairement au secteur privé.

Faire taire les contre-pouvoirs 

De plus, le ministre de l’Éducation s’octroie au passage plus de pouvoirs : il se donne le pouvoir d’établir des cibles portant sur l’administration, l’organisation ou le fonctionnement du centre de services scolaires. Je ne m’y prendrais pas autrement si je voulais faire taire les contre-pouvoirs en éducation alors qu’il disait il y a tout juste un an vouloir libérer la parole des profs. Il dit que leur formation continue est quasiment inexistante. En réalité, on croule sous les formations qui sont d’ailleurs rarement pertinentes. Bien souvent, la forme est tellement médiocre que l’on en oublie le fond. Bref, le ministre agit comme s’il imposait un ordre professionnel.

Force est de constater que l’on est passé de la massification de l’enseignement à sa marchandisation. Nico Hirtt va jusqu’à dire qu’il faut former le travailleur, qu’il faut éduquer et stimuler le consommateur pour qu’il s’ouvre à la conquête des marchés. Seule une élite doit être formée pour les emplois ultra-qualifiés, ce qui justifie le financement éhonté des écoles privées et la privatisation de l’intérieur de l’école publique. 

L’éducation s’adresse pourtant à l’être humain dans son intégralité, au citoyen qui sera en mesure d’user adéquatement de sa raison et de sa liberté, écrit Réjean Bergeron. Cette politique de marchandisation est simple. On commence par sous-financer l’éducation pour entraîner son dysfonctionnement, ensuite on réforme et on licencie en masse, ce qui crée de la pénurie de personnel, tout en répétant qu’il n’y a pas d’argent pour les syndicats.

L’éducation, ça coûte cher et ça ne rapporte rien dans l’immédiat. C’est une vocation silencieuse, c’est vache, mais c’est vrai.

Le rabbin Abraham Twerski dit que si nous utilisons l’adversité correctement, nous pouvons croître à travers l’adversité comme le homard, d’une longévité exceptionnelle, qui mue chaque fois qu’il se sent à l’étroit dans sa carapace. Et si les profs, ces vaches dociles, devenaient enfin des homards animés par un besoin de changement pour plus de reconnaissance humaine et salariale ?

Rien n’est pire que l’eau qui dort, et comme les homards, les profs ne souffrent pas de néophobie. Le mépris qu’une certaine presse leur inflige est une grossièreté qui est un manque de vocabulaire, une violence selon notre Gilles Vigneault. C’est la raison pour laquelle éduquer, c’est apprendre à parler juste, car les qualités que l’on attribue à la démocratie dépendent de cette qualité de la langue. Si démocratie et langue sont en souffrance, il n’y a plus d’espoir.

Le but de l’éducation est de transformer des miroirs en fenêtres.

Sydney J. Harris

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