En raison d’un carcan historique, les principaux acteurs syndicaux québécois traînent une vision plus ou moins étroite du concept de grève. Ainsi, le Code du travail, issu du Wagner Act, limite et encadre le droit de grève aux seuls conflits de travail. Par conséquent, plusieurs se limitent à ne concevoir la grève que dans un simple contexte de droit privé, et ce, dans une stricte relation entre salariés et employeurs. Pire encore, dans une période temporelle imposée par le Code du travail.

Et pourtant, la donne a récemment changé de façon importante ! De fait, depuis 2015, la Cour suprême, dans l’arrêt Saskatchewan Federation of Labour, érige le droit de grève en une constituante intégrale du droit d’association protégé par les Chartes. Bien que nous sommes conscients que ces enseignements s’appliquent d’emblée dans un contexte de droit du travail traditionnel, en lien direct avec le droit de négocier collectivement des contrats de travail, cet arrêt force à la réflexion. Avec ce nouveau paradigme, peut-on en tirer les inférences logiques afin d’élargir la portée du droit de grève, compte tenu de son statut désormais constitutionnel et de l’urgence d’agir dans un contexte de crise climatique ? La question mérite d’être posée.

À la suite de cette évolution naturelle concernant l’interprétation du droit de grève, le professeur Michel Coutu, à l’instar du professeur Pierre Verge quelques années auparavant, a soumis dans les médias l’hypothèse suivante quant à une définition alternative et complémentaire du concept de grève : « Un mouvement de protestation d’envergure “nationale”, ciblant les politiques du gouvernement et se traduisant par des interruptions de travail, en dépit des conventions collectives en vigueur*. »

Dans le même texte, le professeur ajoute qu’« interdire, en le qualifiant d’illégal, un mouvement de grève sociale pacifique visant à protester contre les politiques du travail de l’État et éventuellement à les infléchir, représenterait une “entrave substantielle” à l’exercice par les salariés de leur droit fondamental de poursuivre des objectifs collectifs ».

À notre lecture, il apparaît évident que le concept de grève transcende celui imposé par le Code du travail.

Dans ce nouveau cadre, le droit de grève doit être protégé d’une façon plus libérale compte tenu de son statut constitutionnel afin de véritablement en protéger l’exercice et son véritable sens. De même, dans un contexte d’urgence climatique, l’heure n’est plus aux tergiversations et il est impératif de réfléchir à des actions collectives, comme la grève, afin de faire bouger les choses et peut-être éviter à terme le pire.

À risque de sanctions

Malgré les récentes décisions de la Cour suprême, une grève illégale au sens du Code du travail menacerait toujours les grévistes de sanctions. En effet, advenant le déclenchement d’une grève du climat dans un contexte de paix industrielle, le syndicat, les dirigeants ainsi que les salariés impliqués s’exposeraient aux dispositions pénales prévues au Code du travail. En sus, on peut parier que certains employeurs prétendront certainement à des préjudices vécus au cours de cette grève pour leur entreprise afin de clamer dédommagement.

D’un point de vue individuel, on peut présumer que les participants à ces grèves du climat recevraient probablement des mesures disciplinaires pour absentéisme fautif. Dès lors, l’arbitre de grief saisi d’un pareil litige devra déterminer, en premier lieu, s’il y a faute, ensuite si la faute est proportionnelle à la sanction imposée par l’employeur. Il est ici utile de rappeler que le droit du travail obéit à ses propres règles, tant les défenses d’inspiration du droit criminel que les règles purement civiles trouvent application.

Au sein d’une réflexion sur la désobéissance civile pour protéger l’environnement, le professeur Hugo Tremblay nous propose la défense de nécessité, habituellement applicable en droit pénal et criminel. Brièvement, elle fait référence à un cumulatif de trois critères : 

– la situation doit être urgente et le péril imminent ;

– la personne qui commet l’infraction ne dispose pas d’alternative légale ;

– le mal infligé est moindre ou à tout le moins comparable au mal évité.

Il nous rappelle que, jusqu’à présent, la défense de nécessité concernant des militants du climat ayant contrevenu à la loi fut évoquée sans succès.

Mais en sera-t-il toujours ainsi ? Le professeur Tremblay estime probable un changement dans un avenir prochain : 

« Cependant, la démonstration de plus en plus claire des liens entre l’activité humaine, les changements climatiques et leur conséquence augmente les chances d’invoquer la nécessité avec succès pour défendre des actes “illégaux” qui visent à empêcher la dégradation de l’environnement », écrit-il dans le texte « Légale, la désobéissance civile pour protéger l’environnement ? »

Or, opposer cette défense requiert de mettre en preuve l’urgence et le péril imminent de notre situation climatique. Il va sans dire que cette preuve d’envergure concernant l’urgence d’agir nécessitera temps, énergie et plusieurs expertises scientifiques. Compte tenu de ces impératifs, peu d’organisations, hormis les organisations syndicales, ont les ressources juridiques, financières et techniques pour aborder un tel combat.

À défaut d’être tentée, on ne peut présumer de la recevabilité de telles défenses exposées ci-dessus dans un contexte de « grève climatique ». Tant les récentes décisions de la Cour suprême que l’urgence de la crise climatique nous commandent deux choses. D’un côté, il nous apparaît essentiel de revoir notre rapport collectif au droit de grève. Selon nous, cet outil de changement social a été cadenassé trop longtemps par le Code du travail. De l’autre, la crise climatique nous impose une vive réaction collective et la créativité nécessaire pour sortir des sentiers battus.

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