Il y a quelques semaines, Christian Dufour a lancé un essai intitulé Le pouvoir québécois menacé – Non à la proportionnelle !, où il pourfend la réforme attendue du mode de scrutin.

Pour lui, la cause est entendue avant même le dépôt d’une réforme. Il a le verbe haut, M. Dufour, et il ne cache pas son mépris, y compris pour le premier ministre Legault, qui aurait eu la mauvaise idée, avec trois des quatre principaux partis politiques québécois, de s’engager à déposer un projet de loi pour instaurer une proportionnelle mixte compensatoire régionale.

Chacun a droit à son style, mais quand on choisit d’accuser les tenants d’une réforme du mode de scrutin d’idéologues et de fossoyeurs du pouvoir politique des francophones, on ne peut se contenter d’affirmations gratuites. Il faut pouvoir soumettre quelques démonstrations. C’est là où le bât blesse.

Le cœur de la thèse développée par M. Dufour se résume ainsi : le scrutin uninominal à un tour légué par l’Angleterre sert admirablement bien la majorité francophone du Québec qui, on le reconnaît, est vulnérable au sein du Canada. Pas question de la priver de cet avantage !

Des situations embarrassantes depuis 1998

Venons-en aux faits. Depuis 1970, le Québec a connu 14 élections générales. Le mode de scrutin tenait à peu près la route jusqu’en 1998, à deux exceptions près : 1970 et 1973, où le PQ décroche sept, puis six sièges, avec respectivement 23 % et 30 % du vote. Mais les situations embarrassantes sur le plan de la démocratie et de l’efficacité vont se multiplier pour pratiquement devenir la norme depuis 1998.

À cette date, Lucien Bouchard prend le pouvoir avec moins de votes que les libéraux. Puis, le système uninominal à un tour produit deux gouvernements minoritaires en 2007 et en 2012. Ces gouvernements ne durent pas, parce que notre système électoral décourage le travail en coalition. Pire encore, il autorise, comme on l’a vu sous le gouvernement Couillard, de saccager nos réseaux de santé et d’éducation à partir d’une majorité artificielle, déconnectée du vote populaire. Autre anomalie : depuis 2007, près d’un électeur sur trois est fortement sous-représenté à l’Assemblée nationale, les tiers partis recevant pratiquement à chaque élection la faveur de plus ou moins 38 % des votants.

En clair, le dysfonctionnement s’est installé. Il tient au fait qu’assez massivement, le Québec, à l’instar d’une majorité de pays, ne supporte plus d’être limité à deux partis politiques. Il est à l’étroit dans ce bipartisme britannique.

Il devient alors impératif de trouver un mode de scrutin adapté à ses aspirations démocratiques et à une société plus diversifiée et plurielle.

Plus qualitativement, rappelons qu’avant 2018, le Québec a connu de façon presque ininterrompue, à cause de la fragmentation du vote francophone, près de 15 années de règne libéral, avec des gouvernements parmi les moins nationalistes et les plus à-plat-ventristes de son histoire. Drôle de façon de conjurer la vulnérabilité de la nation québécoise !

De la même façon, il est difficile, comme le fait M. Dufour, de soutenir que le Québec est protégé de la mondialisation par son mode de scrutin alors que les traités de libre-échange conclus avec l’Europe et les États-Unis ont à deux reprises fait des compromis sur le dos des agriculteurs québécois pour mieux épargner les éleveurs de l’Ouest canadien.

Bien sûr, il y a eu les élections de 2018, mais une fois en 15 ans n’amène certainement pas à conclure à la grande efficacité du système ! En ce sens, François Legault, qui a plutôt surpris depuis son arrivée au pouvoir, aura une occasion en or de se poser comme un grand premier ministre, capable de se placer au-dessus de l’intérêt partisan, en respectant son engagement électoral. Laisser entendre qu’un tel choix aurait pu le priver de légiférer sur la laïcité serait démagogique, comme en témoigne l’appui reçu de la part du PQ.

Christian Dufour soutient enfin que la proportionnelle sert les libéraux. Or, selon l’étude publiée par L’actualité en septembre 2018, cette affirmation ne tient pas pour les élections de 2012 et de 2014. Dans les deux cas, les sièges dévolus aux libéraux diminuent pour s’approcher des votes obtenus, alors que ceux des partis identifiés aux francophones (PQ, CAQ et QS) augmentent globalement autant. On rétorquera que cette projection est fondée sur des hypothèses quant au type de proportionnelle retenue. C’est juste.

Pourquoi alors condamner sans appel la proportionnelle avant même d’en connaître le modèle ?

De la même façon, la peur de voir les scores quasi soviétiques des libéraux dans l’île de Montréal déteindre sur le reste du Québec n’est pas fondée a priori avec une proportionnelle mixte compensatoire régionale.

Un examen minutieux des résultats des élections de 2018 à Montréal démontre que les quelque 331 570 votes accordés aux libéraux par rapport aux 391 397 voix qui sont allées à QS, à la CAQ et au PQ devraient faire voler en éclat l’image monolithique de « Montréal la rouge », au plus grand bénéfice de la démocratie et de la métropole du Québec. En effet, l’actuel mode de scrutin rend Montréal impuissant tant ses résultats électoraux sont tronqués et prévisibles. Il faudra être attentif à la situation des régions. La consultation suivant le dépôt du projet de loi garde toute son importance.

En terminant, constatons que tout cela est complexe. C’est dans la pratique que nous pourrons finalement juger de la réforme envisagée. Cependant, il faut passer maintenant à l’action pour corriger les dysfonctionnements que nous traînons depuis 20 ans. Un référendum serait ensuite indiqué après avoir expérimenté ladite réforme, comme l’a fait la Nouvelle-Zélande dans des circonstances semblables. Pour l’heure, ayons la sagesse de chasser les épouvantails et de conjuguer action et démocratie.

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