La nomination d’un ambassadeur du Canada en Chine annonce-t-elle un apaisement des tensions entre les deux pays ? Dans ce nouveau monde où les règles les mieux établies peuvent changer du jour au lendemain, rien n’est certain. En tout cas, ce n’est pas une mauvaise nouvelle.

Les tensions entre les deux pays découlent d’une incroyable saga juridico-politique. À la suite d’une demande d’extradition par les États-Unis, les autorités policières canadiennes ont arrêté en décembre dernier à Vancouver Meng Wanzhou, vice-présidente de la firme Huawei. Elle est accusée d’avoir violé les sanctions américaines contre l’Iran. Il s’en est suivi une cascade de mesures de rétorsion de la part de la Chine envers le Canada, dont l’emprisonnement de deux Canadiens accusés d’espionnage et l’interdiction de toute importation de graines de canola, de bœuf et de porc.

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« La nomination d’un ambassadeur du Canada en Chine annonce-t-elle un apaisement des tensions entre les deux pays ? », demande Jocelyn Coulon.

La colère des Chinois est à la mesure de leur humiliation. Non seulement une de leurs intouchables « princesses » a été interrogée pendant des heures avant d’être arrêtée, mais des images où on la voit littéralement traînée hors de l’aéroport par les policiers ont fait le tour du monde. Je n’ai pas souvenir qu’un homme d’affaires américain ait été traité de cette façon quelque part sur la planète.

Et il y a pire. Les Chinois accusent le gouvernement canadien d’avoir instrumentalisé la justice pour servir les intérêts politiques et commerciaux des États-Unis. Comment le leur reprocher lorsqu’on sait que le président Trump veut utiliser Mme Meng comme monnaie d’échange dans sa guerre commerciale contre la Chine ?

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« Il est évident que l’affaire Huawei laissera des marques lorsqu’elle trouvera son aboutissement », juge l’auteur.

Le gouvernement s’est donc retrouvé coincé entre deux éléphants, et ce n’est pas la position la plus confortable qui soit.

En plus de devoir manœuvrer entre les États-Unis et la Chine, il a fait face à un barrage de critiques au pays, critiques essentiellement venues du Parti conservateur, d’une partie des médias anglophones et de nombreux commentateurs. À les écouter, le gouvernement devrait répondre du tac au tac à chaque décision prise par la Chine contre le Canada. Certains ont même préconisé la révision complète de la politique envers la Chine, le retrait du Canada de la Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures et la restructuration des échanges économiques entre les deux pays afin de trouver de nouveaux marchés.

Le gouvernement n’a pas cédé à cette campagne absurde et il a bien fait. Il a décidé d’encaisser les coups et de ne pas faire de vagues. La ministre de l’Agriculture, Marie-Claude Bibeau, députée d’une circonscription rurale où les agriculteurs sont touchés par les sanctions chinoises, a été envoyée au front et a constamment porté un message ferme sur les principes, mais ouvert sur les enjeux de cette crise. En parallèle, sa collègue des Affaires étrangères, Chrystia Freeland, a tiré les ficelles de la diplomatie afin de rétablir le dialogue.

La stratégie gouvernementale s’est révélée payante.

Le mois dernier, Mme Freeland a rencontré son homologue chinois et s’est entendue avec lui pour pourvoir les postes d’ambassadeur dans les capitales respectives. Pékin a agréé la nomination de Dominic Barton, un homme d’affaires proche du premier ministre qui ne parle pas mandarin, mais qui a longtemps travaillé en Asie et en Chine.

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Dominic Barton, nouvel ambassadeur du Canada en Chine

Barton aura une double mission. Il devra obtenir la libération des deux Canadiens et relancer la relation entre les deux pays. La tornade Trump et ses attaques contre l’Accord de libre-échange nord-américain ont révélé aux Canadiens l’impérieuse nécessité de diversifier leur commerce s’ils veulent acquérir une certaine indépendance envers les États-Unis.

L’expansion du commerce avec nos alliés traditionnels comme les Européens est une des options que nous avons choisies, mais elle n’est pas suffisante. Ce sont les marchés émergents qui représentent l’avenir, et la Chine est le plus important d’entre eux. C’est pour cette raison qu’en 2016, le gouvernement Trudeau a procédé à une vaste refonte de la politique envers la Chine adoptée en 1987 par le gouvernement Mulroney. Le cadre a été fixé par l’ensemble des ministères et il couvre un large spectre d’activités, du tourisme à l’échange de renseignements en matière de sécurité.

Il est évident que l’affaire Huawei laissera des marques lorsqu’elle trouvera son aboutissement. Il faudra rétablir la confiance, retisser les liens, revoir certains éléments de la stratégie d’engagement avec la Chine. L’arrivée prochaine à Pékin d’un nouvel ambassadeur ouvre la voie.

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