Les images qui nous arrivent de l’Amazonie en feu ont été prises par des satellites et des photographes de presse professionnels, validées par des agences de presse et par des journalistes qui ont produit des articles d’analyse. Si ces images avaient simplement circulé sur les réseaux sociaux, bon nombre de personnes auraient pu en contester la véracité.

Les causes de la destruction de l’Amazonie sont examinées par des journalistes avec le concours de scientifiques et de témoins sur le terrain. Elles attestent de mises à feu délibérées pour élargir les zones de cultures, avec des effets d’une gravité qui dépasse largement les intentions initiales. Elles sont autant d’éléments à prendre en compte pour ce débat environnemental, économique et politique.

Certains gouvernements populistes, parfois prêts à tout pour s’assurer un soutien financier pour leur prochaine réélection, auraient pu avoir intérêt à remettre en question ces faits s’ils n’avaient pas été rigoureusement validés, ou encore à tenter d’en reporter la responsabilité sur les défenseurs de l’environnement.

Ils auraient pu prétendre qu’il s’agissait de fake news pour faire passer leurs propres fausses nouvelles dans une communication directe avec un public moins informé ; c’est la mécanique même du populisme qui aujourd’hui affaiblit les démocraties.

Selon cette logique, comme les leaders peuvent parler directement au peuple, il n’y a plus besoin du filtre des médias, de validation de faits ni d’interprétation critique. Tout se résumerait à un acte de foi et de confiance. Les plus sombres périodes de l’humanité ont été soumises à cette logique.

Si des scientifiques au Brésil et des ONG ont prévenu les autorités des risques des politiques actuelles dites « de développement économique de l’Amazonie », ce sont les médias et les journalistes, souvent au risque de leur vie, qui ont créé un levier pour exposer la situation.

PHOTO CARL DE SOUZA, AGENCE FRANCE-PRESSE

La forêt amazonienne est, par endroits, réduite en cendres, comme en témoigne cette photo captée lundi par un photographe de l’Agence France-Presse.

Ce sont eux également qui ont alerté le public pour que s’arrête la destruction de l’un des derniers trésors de biodiversité de la planète.

Plus près de chez nous, des dizaines de professionnels de l’information s’affairent avec bon nombre de chercheurs à décortiquer les effets des pesticides sur notre environnement et notre santé. Sans eux, l’agronome Louis Robert n’aurait pas pu mettre en évidence l’ingérence de l’industrie dans la recherche publique en agriculture. Il n’y aurait probablement pas eu de commission parlementaire cet automne sur les pesticides et l’avenir de l’agriculture du Québec.

Sans le relais de journalistes, la tarification du carbone aurait pu être comprise comme une simple hausse de taxes. Sans un journalisme critique, soucieux de recherche scientifique indépendante, certains auraient pu laisser croire que l’augmentation du dioxyde de carbone est bonne pour la planète.

Or, dans un contexte d’effondrement de la biodiversité, d’aggravation des événements météorologiques extrêmes et de bouleversements climatiques aux conséquences majeures pour nous tous et pour les générations futures, les fruits de la recherche doivent être partagés en conséquence.

Nous donnons ici des exemples qui touchent à l’environnement. Nous aurions pu parler de Nixon, du scandale des commandites ou d’autres cas plus retentissants. Mais nous sommes des chercheurs, des scientifiques et des écologistes, et nous nous inquiétons pour l’avancement et le partage des savoirs si essentiels en démocratie.

Médias menacés

Or, au Québec, l’existence de plusieurs médias jouant un rôle clé dans le partage des connaissances est actuellement menacée alors que le nombre de journalistes connaît un déclin marqué. L’automne annonce un risque de concentration accrue des médias où seulement quelques groupes de presse pourront survivre. 

La diversité des voix ayant la capacité de mettre en perspective les grands enjeux socioécologiques et scientifiques et de limiter les tentatives de manipulation risque alors d’être plus limitée.

De nombreux médias en difficulté ont demandé que les gouvernements créent des conditions fiscales favorisant la pérennité de l’information indépendante et la diversité des voix. Cela peut prendre différentes formes, dont des crédits d’impôt à la masse salariale, mais cela exige surtout des politiques d’équité fiscale face aux géants du numérique et de nouveaux modèles d’affaires.

Dans la mesure où le bon fonctionnement des démocraties repose sur notre droit collectif à être bien informés, à partir d’analyses diversifiées et étayées des enjeux qui sous-tendent les actions des décideurs, l’idée de soutenir une presse indépendante devrait aller de soi.

Ensuite, en tant que lecteurs, il faudra se faire définitivement à l’idée que payer un tant soit peu pour l’information scientifique et la vulgarisation de qualité équivaut à défendre le bon fonctionnement de notre démocratie, lutter contre la fausse information, garder un œil vigilant sur nos décideurs et sauvegarder notre propre droit à rester informés.

Pour la suite du monde, tout court.

* Signataires : Dominic Champagne, le Pacte ; Laure Waridel, professeure associée à l’UQAM ; Lucie Sauvé, directrice du Centre de recherche en éducation et formation relatives à l’environnement et à l’écocitoyenneté de l’UQAM ; Louise Vandelac, professeure titulaire, département de sociologie et Institut des sciences de l’environnement de l’UQAM ; Ryan Worms, directeur des communications d’Équiterre ; Sophie Paradis, directrice générale de WWF-Québec ; Marie-Christine Fiset, directrice des communications de Greenpeace Canada ; Pascal Priori, Alliance pour l’interdiction des pesticides systémiques ; le Dr Éric Notebaert, vice-président de l’Association canadienne des médecins pour l’environnement (ACME) et Thibault Rehn, coordinateur de Vigilance OGM.

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