Après une année scolaire passée à travailler avec tout mon cœur et toute mon âme dans une école secondaire, une décision administrative fait en sorte que je dois quitter cet endroit dans lequel j’ai investi tant de temps et d’amour.

Moi ça va, je suis résiliente, je vais vers autre chose, un autre lieu, il faut des fins pour qu’il y ait des commencements. Moi ça va, je fais mon deuil, je pleure les pertes, les déceptions, les frustrations. Moi ça va, j’ai confiance, j’ai espoir, il y aura un après. Moi ça va, mais pas elle, pas lui, pas eux.

Eux qui sont si fragiles, qui accumulent les pertes, les départs, les douleurs. Eux qui se sont ouverts si doucement, si tranquillement à moi à force de rencontres tissées de patience, d’écoute et d’amour. Eux qui font si difficilement confiance parce que la peur, la honte, la tristesse ne se mettent pas facilement en mots. Eux avec qui il faut tricoter peu à peu un lien au fil des jours. Eux, Rémi, Alexis, Jade, Antoine, Émilie, Camille, Jérémi, Nicolas, Félix, Alice. Eux avec des noms et des visages. Eux qui m’ont confié leur envie de mourir, celle de s’en sortir, leur désir d’en finir, celui de continuer à grandir. Eux qui ont accepté de prendre ma main tendue vers leur souffrance. Eux que je laisse, que je quitte, avec leur trou béant, leur manque, leur trop-plein. Eux qui se sentent largués une fois de plus, une fois de trop. Eux que les raisons administratives ne considèrent pas quand vient le temps de prendre une décision.

Eux qui passent après le cash, en dernier, encore... Eux qui gardent une place en moi, toujours. Eux à qui je souhaite tellement d’avoir la force de s’ouvrir à une autre.

Stéphanie Debien-Dubé

Mais ça, j’en doute. Parce que tu n’as pas envie de raconter le viol que tu as subi à quatre intervenants différents. Parce que tu n’as pas le goût de confier ton désir de mourir à trois personnes différentes. Parce que la violence, la douleur, la peine, ça ne se garroche pas à n’importe qui, n’importe quand. Ça demande du temps, ça demande un lien... Parce que quand la personne à qui tu t’es ouvert finit toujours par partir, tu ne t’ouvres plus. Le cadenas du cœur se visse à double tour. Ça, en haut de la tour de bureaux, ils ne voient pas ça. Ils ne voient pas Camille, Félix, Antoine, Jade, Émilie, Rémy pleurer dans mon bureau à l’annonce de mon départ. Ils ne voient pas leurs yeux apeurés qui me questionnent : qui va être là pour trouver la bonne combinaison du cadenas asteur ? Ils ne me voient pas les prendre dans mes bras, leur promettre que ça va être correct, pis brailler dans mon char parce que je n’y crois pas tant. Ils ne me voient pas leur écrire une lettre espérant que mes quelques mots vont les accompagner, les empêcher de disparaître. Ils ne me voient pas, ils ne les voient pas, ils ne nous voient pas.

Moi ça va, mais pas eux...

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