Avant l’ouverture des premières écoles d’architecture au Canada à la fin du XIXe siècle, les architectes canadiens étaient peu nombreux. Les donneurs d’ouvrage faisaient appel à des architectes étrangers, principalement anglais, écossais ou irlandais.

Avec le temps, l’influence européenne de nos deux mères patries s’amenuise au profit de celle des Américains. On le voit entre autres lors du boom immobilier que connaît Montréal dans les années 60 et 70, avec la construction de plusieurs œuvres d’illustres architectes provenant des États-Unis.

Quelques grandes sociétés provenant des vieux pays continuèrent cependant à profiter des occasions d’affaires qui ne manquaient pas à Montréal à cette époque. C’est précisément le cas de notre septième icône, la Place Victoria. 

LA PLACE VICTORIA (1963-1964)

PHOTO MARTIN CHAMBERLAND, ARCHIVES LA PRESSE

La Place Victoria

800, rue du Square-Victoria Luigi Moretti, architecte, Italie, avec Greenspoon, Freedlander, Dunne, Plachta & Kryton architectes, Montréal, architectes associés Pier Luigi Nervi, ingénieur, Italie 

Celle que plusieurs qualifient de « plus belle tour de Montréal » se démarque de ses contemporaines grâce à la touche européenne qu’ont apportée ses concepteurs qui, contrairement aux Américains, appliquent les codes du style international de façon plus libre et moins littérale.

Les architectes et les ingénieurs d’origine italienne ont mis en œuvre différents stratagèmes qui donnent son élégance à la tour.

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La Place Victoria

Le premier concerne les quatre colonnes d’angle clairement exprimées autant par leur couleur que par leur matérialité. Recouvertes de panneaux de béton précontraint blanc, elles contrastent avec les façades noires du mur-rideau d’aluminium et de verre. Deuxièmement, pour accentuer la présence de ces colonnes, une légère courbe a été donnée aux façades qui semblent vouloir entrer vers l’intérieur de l’édifice. 

Finalement, le fractionnement vertical du volume : trois étages techniques construits en retrait découpent la tour en quatre blocs et brisent ainsi l’effet de monolithe. L’élégance et la sobriété sont aussi présentes dans les espaces intérieurs. Le grand hall est revêtu de marbre et un lustre en verre de Murano surplombe l’élégant escalier d’apparat. 

La présence italienne semble donc présente partout… même dans le financement. Le projet a été financé par le plus important conglomérat de construction et de développement italien de l’époque, la Società Generale Immobiliare (SGI). Selon les rumeurs, le principal actionnaire en aurait été le Vatican ! La SGI a aussi financé l’édifice Le Port-Royal (1455, rue Sherbrooke Ouest), plus haute tour d’habitation au Canada en 1966.

Malgré tout, la Place Victoria était résolument moderne et constituait une vitrine des progrès technologiques du moment.

En plus d’être l’édifice le plus haut du Canada lors de son inauguration, c’était aussi l’édifice en béton armé le plus haut du monde. Et sur le plan technologique, lorsque la Bourse de Montréal, la plus vieille du Canada, s’y est installée en 1965, elle est devenue la plus moderne du monde. 

À l’origine beaucoup plus ambitieux, le projet comprenait trois tours identiques pivotées de 45 degrés par rapport à la rue. Le manque d’argent a mis fin au projet après la première tour et l’hôtel ne sera finalement construit qu’en 1977. Ici aussi, suivant la tendance, on retrouve plusieurs usages : stationnement souterrain, aires de services, galerie marchande, Bourse, bureaux et hôtel. Depuis 2018, la Bourse de Montréal a cessé toutes ses activités à la Place Victoria. L’avenir nous dira pendant combien de temps encore on entendra les gens l’appeler la « tour de la Bourse » ! 

Luigi Moretti : son bâtiment le plus connu est le complexe Watergate de Washington D.C. (aussi financé par la SGI). 

Pier Luigi Nervi : il est ingénieur, maître des structures de béton (Palais des expositions de Turin, Palais des sports des Jeux olympiques de Rome). 

LE PORT DE MONTRÉAL 

PHOTO MARTIN TREMBLAY, ARCHIVES LA PRESSE

Le port de Montréal

Le port de Montréal doit son importance à sa position stratégique sur le fleuve Saint-Laurent. Les rapides de Lachine, obstacle infranchissable à toute embarcation, font de Montréal un point incontournable de transbordement des marchandises qui arrivent par train de l’Ouest canadien et qui repartent par bateau vers l’Europe, et vice versa. 

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Le quai Jacques-Cartier en 1935

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Le pont Victoria durant sa construction, de 1859 à 1898

Avec le développement fulgurant de l’agriculture dans les Prairies, le port de Montréal devient dans les années 20 le plus grand port céréalier du monde. Pour contenir tout ce grain, on commence dès 1902 à construire les silos qui portent les numéros 1 à 5. Agrandis plusieurs fois, ils finissent par devenir des géants comme le fameux silo no 5, l’entrepôt portuaire le plus gros du monde. Surnommés les « géants du port », ces mastodontes au style architectural simple qui répond uniquement aux besoins de leur fonction marquent les esprits. Leurs formes primaires et dépouillées rejoignaient tout à fait la pensée d’un des partisans du Mouvement moderne en architecture, le célèbre architecte Le Corbusier. Les photos qu’il a vues du silo no 2 l’ont impressionné au point d’en parler dans un article publié en 1920 dans la revue avant-gardiste L’Esprit nouveau

Le fonctionnement du port de Montréal a comme particularité de reposer sur l’intermodalité (bateau, train, camion). Ce mode opératoire est important au point d’être connu dans l’industrie nord-américaine sous le nom de « modèle Montréal ». 

C’est aussi à Montréal qu’on a ouvert en 1968 le premier terminal à conteneurs du Canada et, à ce jour, il est le deuxième en importance au pays. Selon les statistiques du port de Montréal, les deux tiers du commerce international canadien transitent par Montréal. Et, bonne nouvelle pour le port, 80 % de tous les produits transportés dans le monde voyagent à bord d’un navire. Voilà de quoi lui assurer un bel avenir et lui permettre de conserver sa place centrale dans notre économie ! 

« L’IMPÉRATRICE DU CANADA » 

Oui, Montréal a déjà porté ce nom ! C’était au moment de l’ouverture du pont Victoria, le plus long du monde en 1859. Aujourd’hui, qui appellerait ainsi Montréal ? Notre perception, souvent négative, a bien changé, malgré sa bonne réputation sur le plan international. La ville est reconnue pour sa qualité de vie, son échelle humaine, sa créativité, etc. 

J’aimerais terminer cette série de textes avec un mini-palmarès de réalisations, tous domaines confondus, pour vous rappeler à quel point notre ville est grande, dynamique et vivante. Une ville dont nous pouvons être fiers ! 

1829 : la basilique Notre-Dame devient l’édifice religieux le plus grand du continent

PHOTO DAVID BOILY, ARCHIVES LA PRESSE

La basilique Notre-Dame

1860 : fondation du Musée des beaux-arts de Montréal, plus vieux musée d’art du Canada

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Le Musée des beaux-arts de Montréal

1876 : le parc du mont Royal est aménagé par Frederic Law Olmstead, architecte de paysage à l’origine de Central Park, à New York 

1886 : départ de Montréal du premier train qui fera la traversée du Canada

1896 : première projection d’un film au Canada (à l’édifice Robillard), deux jours avant New York et six mois seulement après Paris 

À la fin du XIXe siècle, 70 % des richesses de tout le Canada se trouvent entre les mains des habitants du quartier Golden Square Mile, à Montréal 

1906 : ouverture du Ouimetoscope, première salle consacrée uniquement au cinéma en Amérique du Nord 

1916 : le Théâtre St-Denis devient la plus grande salle du Canada avec ses 2200 places

PHOTO ARCHIVES LA PRESSE

Le théâtre Saint-Denis

1944 : Montréal devient la capitale mondiale de l’aviation civile lorsqu’elle accueille les sièges sociaux de l’OACI et de l’IATA 

1954 : L’oratoire Saint-Joseph possède le carillon fabriqué à l’origine pour la tour Eiffel de Paris (il n’y a jamais été installé). Il est le seul des 11 carillons du Canada au Québec. 

PHOTO OLIVIER PONTBRIAND, ARCHIVES LA PRESSE.

L’oratoire Saint-Joseph

1967 : Expo 67 est l’exposition la plus populaire du XXe siècle 

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Expo 67

1987 : la tour du Stade olympique est terminée et devient la plus haute tour inclinée du monde 

PHOTO BERNARD BRAULT, ARCHIVES LA PRESSE

Le Stade olympique

2015 : inauguration du Stade de soccer de Montréal (Saucier + Perrotte architectes, HCMA Architecture + Design). Sa toiture spectaculaire est composée d’un treillis géant en bois d’une portée de 68 m unique au monde. 

2017 : Montréal se classe au premier rang du palmarès des meilleures villes du monde pour faire ses études 

2019 : Montréal est en voie de devenir le centre mondial du développement des technologies liées à l’intelligence artificielle (IA)

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