Nous vous présentons la suite du texte de Gérard Bouchard publié le 14 juin dernier, « Ce qui nous a manqué », sur le devenir du Québec.

Selon plusieurs observateurs, notre société marque le pas sous divers aspects. Nous sommes sortis fortifiés de la Révolution tranquille, mais très affaiblis des luttes référendaires. Le mouvement souverainiste est à plat. Paradoxalement, l’option fédéraliste, qui a triomphé, suscite peu d’enthousiasme.

Plusieurs jeunes éprouvent le sentiment de vivre dans un vide symbolique et le retour au Canada français séduit à nouveau. Entre-temps, la mondialisation continue de transformer nos vies en bousculant nos repères. Sommes-nous voués à subir le cours du temps sous l’action de facteurs indépendants de notre volonté ? Je crois que non.

Pour de nombreux Québécois, la souveraineté était le dénouement naturel de la Révolution tranquille. Ce ne fut pas le cas. Plusieurs citoyens ont fait un choix pragmatique en optant pour la sécurité qu’offrait le Canada. Mais la question de notre destin reste ouverte. Nous avons besoin d’une nouvelle réflexion — Pierre Vadeboncoeur le disait déjà en 1985.

Le contexte actuel incite soit au statu quo, soit aux ruptures radicales. Ce serait dans les deux cas une erreur.

Le statu quo nous mettrait à la remorque du destin des autres. D’autre part, toute société, dans une période de redéfinition, a besoin de préserver d’importants éléments de continuité issus de son histoire. Dans notre cas, rien ne justifierait de sacrifier les idéaux qui depuis longtemps ont inspiré notre développement collectif. Mais ils doivent être revus pour les adapter au temps présent.

En voici deux exemples. Le premier ressort, c’est la conscience d’être une minorité culturelle menacée sur ce continent et le devoir de lutter pour sa survie. Or, cet impératif, apparemment usé, peut être recyclé en une volonté de créativité et de rayonnement culturel à l’échelle mondiale. On pense aussi à la capacité de témoigner à notre façon de la marche du monde, une tâche qui a longtemps intimidé nos intellectuels. Nous avons fait de grands pas dans cette direction, il faudra aller plus loin.

Un deuxième ressort, lié à notre volonté de nous affranchir de nos anciennes dépendances, a résulté dans une longue lutte de reconquête tous azimuts, particulièrement dans la sphère politique. Encore une fois, ce ressort peut être reprogrammé pour soutenir des efforts d’affirmation dans plusieurs domaines de la vie collective.

Ainsi redéployées, reprogrammées en quelque sorte, ces deux sources de motivation gardent toute leur actualité, car elles sont loin d’avoir épuisé leur potentiel de mobilisation et de développement. Elles peuvent réveiller le goût de l’avenir et la fierté qui semblent nous faire défaut. Elles sont en continuité avec le néonationalisme auquel elles pourraient donner un souffle nouveau. Décrochées du projet de souveraineté qui les avait canalisées, elles pourraient jouir d’un très large consensus en faisant appel à toutes les composantes de notre société.

Ces horizons s’accordent pleinement avec le Québec en émergence et ils pourraient servir de repères pour la réflexion à entreprendre.

J’irai plus loin. Il me semble que l’un des traits originaux qui se dégagent de notre histoire, c’est une remarquable aptitude à conjuguer efficacement des orientations apparemment peu compatibles. Je pense à nos réalisations issues d’initiatives aussi bien collectives qu’individuelles dont témoignent, notamment, la vigueur du mouvement coopératif et les succès de l’entrepreneuriat. Ou notre réinvention du nationalisme dans les années 60 pour le réconcilier avec le libéralisme.

Un autre héritage de notre passé qui conserve tout son potentiel d’avenir tient dans une conscience sociale qui nous fait détester les inégalités, les injustices, et nous rend sensibles au drame de la pauvreté.

Certes, nous n’avons pas toujours été fidèles à ces héritages. Ce sont néanmoins de précieux repères conçus pour la longue durée et dont on trouve bien des traces dans notre histoire. Nous pourrions les retraduire dans un ensemble de politiques originales, audacieuses. Elles feraient du Québec un acteur distinctif qui contribuerait substantiellement au monde en train de se refaire, comme le font quelques petites nations semblables à la nôtre. Nous sommes une société riche qui ne manque pas de moyens pour se lancer dans cette aventure.

La passion du Québec

J’ai insisté sur la dimension culturelle de cette entreprise. Car il faut avant toute chose redonner aux Québécois, et tout particulièrement aux jeunes, la passion du Québec. Cela dit, il y aura inévitablement des combats politiques à mener. Une fois relancé, le Québec se retrouvera peut-être de nouveau à l’étroit dans le cadre canadien. Pour cette raison, il est nécessaire de garder bien vivante la flamme de la souveraineté ; elle pourrait encore servir.

Pour l’instant, il presse de nous extraire (le plus honorablement possible) de l’interminable débat sur les signes religieux. Il en va de même avec l’angoisse identitaire qui se résorbera d’elle-même quand nous nous serons vraiment remis en marche.

Depuis plus de 40 ans, nous avons vécu dans la division. Et si on se mettait au consensus pour un moment ? Quand les Québécois s’unissent, le Québec avance.

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