Quand le Canada participe à des interventions expéditionnaires dans le monde, que ce soit en Corée, jadis, ou dans les missions de paix de l’ONU du temps que nous y contribuions, ou en Afghanistan ou même contre Daesh dans le ciel, d’aucuns, à commencer par nos alliés américains, reconnaissent que la qualité de nos contributions est sans pareil. Mais on se demande parfois si nos alliés se souviennent mieux que nous de nos sacrifices — tous les cimetières des champs de bataille des deux Grandes Guerres mondiales en sont témoins. 

En Afghanistan, nos soldats se sont distingués au prix de pertes significatives. Les premiers ministres Paul Martin et Stephen Harper ont tous deux fait en sorte qu’un effort accéléré de rattrapage en matériel soit réalisé étant donné notre désolant penchant à ne pas renouveler de façon systématique nos équipements militaires quand leur état déliquescent l’exige. Pourtant, nous le faisons bien pour nos autos !

Stephen Harper a fait le maximum pour donner au général Rick Hillier les moyens de son action. Mais après le 18 mars 2014, date du retour au pays des derniers soldats canadiens d’Afghanistan, le Canada tout entier, gouvernement compris, est tombé dans une forme d’amnésie collective et le mot « souvenir » n’apparaissait qu’une fois par an, le 11 novembre, au cénotaphe canadien à portée de fusil du parlement. Très peu d’études ont paru sur notre contribution militaire et diplomatique au conflit et les fameuses « leçons apprises » se font encore attendre à quelques exceptions près comme l’admirable livre du général David Fraser sur l’opération Medusa.

La légende veut que le Parti libéral soit celui de la paix, et le Parti conservateur, celui de la guerre. L’autre légende veut que le Québec soit moins « militariste » que les autres provinces. Ces clichés occultent les sacrifices consentis a mari usque ad mare par nos forces canadiennes — québécoises et autres. Mais il existe une réalité aussi inquiétante qu’incompréhensible : le refus du gouvernement canadien de rendre publique la cérémonie d’inauguration, le 13 mai, de la salle commémorative en l’honneur des anciens combattants canadiens morts ou blessés en Afghanistan, monument initialement construit à Kandahar et rapatrié au pays depuis un certain temps. 

L’obligation de mémoire s’est transformée en opération de camouflage.

Priver les familles de rendre hommage à leurs proches tombés au champ d’honneur en ne les invitant pas à la cérémonie est un crime moral et une insulte publique. Priver les médias de la possibilité de rendre justice aux sacrifices consentis auprès de la population canadienne est un déni de vérité. Installer le monument de Kandahar dans la zone de sécurité du ministère de la Défense nationale est un affront au grand public. L’excuse offerte par le porte-parole du Ministère frise l’indécence : assurer une révérence digne à l’événement. Depuis quand la participation des familles à un hommage à leurs fils, pères, mères, amis est indigne ?

Pire que de l’amateurisme

Si ce n’était que de la stupidité, on pourrait se consoler en se disant que ce n’est qu’un exemple de plus de l’amateurisme de notre gouvernement – Mark Norman, SNC, « balade » du premier ministre en Inde, gaminerie du même premier ministre au Viêtnam refusant d’assister à une réunion décisive pour le Partenariat transpacifique (TPP), annonce de négociations commerciales avec la Chine sans l’aval définitif de cette dernière, ou encore « le F-35 ne marche pas » — propos du premier ministre au moment où le F-35 traversait l’Atlantique…

Mais c’est malheureusement l’application de la doctrine « sunny ways, sunny days » à tout ce qui touche les questions de sécurité.

On développe une belle révision de la politique de défense parce qu’on n’a pas le choix, mais on n’a nullement l’intention d’y donner suite à moins qu’il s’agisse de s’en servir pour des contrats juteux aux bons moments politiques. Les anciens combattants, ce n’est pas « sunny » du tout ; c’est le passé, on ne veut plus en parler ; même les Américains rêvent d’en sortir. La défense, cela ne flotte pas dans l’air, ce n’est pas vaporeux, bref, ce n’est pas politiquement rentable… précisément à cause de l’amnésie — CQFD, ce qu’il fallait démontrer.

On pourrait tout pardonner, peut-être, si le gouvernement s’essayait à jouer un rôle réel dans le monde, s’il avait vraiment poussé à la roue pour étayer son « nous sommes de retour sur la scène internationale », s’il n’avait pas attendu 21 mois pour offrir quelques hélicoptères et 200 soldats à l’ONU au Mali et s’il avait eu au moins la décence de prolonger leur mandat jusqu’à l’arrivée des Roumains en relève.

Mais il est difficile de pardonner à un gouvernement qui fait du camouflage de réalité. Le camouflage est l’apanage des forces armées et non celui de nos dirigeants politiques.

* L’auteur est également professeur à temps partiel à la même école.

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