Une douanière américaine a saisi mon orange aux douanes cette semaine. Banane, OK. Noix, OK. Lui ai dit que le fruit venait assurément des É.-U. Pas grave, elle a répondu, c’est la loi et je l’applique.

Il a fait 33º C et humide cette semaine à New York. Me suis dit que le beau temps devait aussi être arrivé chez nous. Puis suis revenu ; misère que non. Y’a que l’ail (planté fin avril dans la boue frette) et les radis qui se sont pointés. Et pourtant tout est semé. Tout. Haricots, pois, carottes, poireaux, gourganes, betteraves, patates, citrouilles, laitues…

Rien de levé. Rien de grave. Ces retards se rattrapent. Y’en d’autres par ailleurs qui sont plus sensibles. Comme dans ces conversations de gradins au soccer du plus jeune : on parle des champs mouillés, de la terre compactée, du retard dans les bleuets et les fraises… La MRC où je demeure s’appelle Les Jardins du Québec.

Et chaque année, quand c’est le temps du potager, c’est aussi le temps de partir et emplir la piscine. Comme c’est la campagne, il n’y a pas de réseau d’aqueduc et on n’utilise pas l’eau du puits artésien pour ça. On fait appel à un service de transport d’eau (puisée dans un lac artificiel).

Le monsieur qui livre l’eau, Monsieur O, me jase comme ça pendant une heure chaque année, de tout et de rien, mais surtout d’agriculture. Cette année, c’était d’autre chose : il était un peu inquiet que ses enfants et petits-enfants passent autant de temps sur Facebook. Puis il est reparti, une fois la piscine à niveau, en me racontant pourquoi il fait si froid ce printemps (j’y reviendrai plus bas).

Jasons un peu de cette inquiétude.

On ne parle pas assez des réseaux sociaux et de leurs impacts. Et c’est inquiétant. Il y a eu cette commission cette semaine à Ottawa.

On sait tous que quand le politique et les gouvernements s’intéressent à un problème, c’est qu’il se fait déjà tard.

Trop tard peut-être ?

Le petit village où je fais pousser des légumes est sur la frontière américaine. Historiquement connu pour avoir facilité la contrebande d’alcool pendant la prohibition, parce qu’elle a duré moins longtemps au Canada qu’aux É.-U.

La prohibition est une mesure législative visant à interdire la vente et la consommation de boissons enivrantes. Elle est mise en vigueur par les gouvernements… avec l’idée de tempérance. (source : L’encyclopédie canadienne)

Bla-bla-bla. Personne n’a cessé de boire. Ça a même favorisé l’illégalité, des réseaux clandestins, et des empires se sont construits. L’idée de tempérance, c’est la modération ou la retenue de soi-même volontaire. (Merci, Wiki.) Et des gens ont fait pression pour interdire l’alcool.

Quand on compare les époques, les causes se ressemblent : une ère de grande modernisation et une société de consommation doublée d’une forte croissance industrielle et de la richesse ; augmentation de l’immigration et une pensée courante conservatrice ! (source : Futura- Sciences) L’alcool aurait un effet sur le comportement humain (les violences conjugales y sont associées, l’Église et un courant de pensée souhaitent moraliser…). Ben coudonc. Dans notre génie naïf, on se croyait unique et spécial.

On va faire quoi avec Facebook, Instagram et les autres ? Croit-on vraiment que les gens vont volontairement se mettre à les utiliser avec modération et éthique ?

La consommation d’alcool n’a eu de cesse d’augmenter, année après année, depuis la prohibition.

Tout ça m’est apparu, dans un éclat de lumière, en calant un verre de vin mercredi (hé hé…).

Le problème des réseaux sociaux ressemble à celui de l’alcool ; une dépendance. Une gratification immédiate. Quel pouvoir législatif pourrait l’interdire sans en payer le prix ? On ne peut pas interdire les besoins du monde. Et peut-on vraiment les encadrer ?

Croit-on vraiment que l’industrie de la vodka souhaite qu’on la boive au compte-gouttes en la dégustant ? Crime ! Ça ne goûte rien, la vodka, et sa plus grande qualité, c’est de soûler. Pas sûr que l’alcool sans alcool aurait de l’avenir.

Alors je trouve ça drôle que l’on souhaite contrôler un média (les réseaux sociaux) qui désinhibe les gens et donne un puissant sentiment d’existence. À tort ou à raison, on ne débattra pas des bienfaits ou de la toxicité ici, mais dans les faits, il semble presque impossible de se sevrer de cette pulsion. Parce que, à la base, il y a ce besoin d’exister qui fait défaut ; peut-être un peu beaucoup et en partie à cause des inégalités humaines. 

Les réseaux sociaux rétablissent temporairement cette perte. Et tout le monde fait son calcul : oui, c’est un système avec des failles, des horreurs, ça menace la démocratie, ça crée des sens uniques, des illusions et parfois des mensonges (fake news), mais on continue de l’utiliser parce que la dépendance – et ses effets – est plus forte que la raison. On assume (trop peu, on s’entend) les conséquences des lendemains de veille. Promesse d’ivrogne.

La solution ne viendra pas de ces entreprises milliardaires. Et c’est OK. Mais de grâce, cessons de rêver à un monde naïf où il n’y a que de gentils messieurs et de gentilles madames et des licornes. On est pris avec un truc qu’on a créé. Pour le meilleur et pour le pire, ils disent.

Aucune loi ne viendra empêcher le vide et cet étrange besoin d’exister comblés par Facebook.

Et l’outil, au passage, servira d’autres intentions, moins nobles. Va-t-on, peut-on, policer et saisir les sentiments humains comme la douanière l’a fait avec mon orange ? Bonne chance à ceux qui vont s’y aventurer.

L’alcool permet aussi, sur plusieurs plans, de voir ce qu’on est.

On revient à Monsieur O qui, après m’avoir fait part de ses inquiétudes sur les réseaux sociaux, m’a juré que la chaleur arriverait bientôt ; parce qu’il pleuvait à 15 h le Vendredi saint, à Pâques, le beau temps n’arriverait que 40 jours plus tard. On a fait le décompte, et c’est pour la première de juin. On dira ce qu’on voudra, tout le monde a raison.

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