N’en déplaise à ceux qui cherchent des réponses simples à des questions compliquées, les vérités absolues sont rares et les solutions qui vont pour les uns ne vont pas toujours pour les autres.

Comme je l’écrivais à la fin de mon livre, comme Jean-Martin Fortier l’a dit souvent, et comme Schumacher nous le répète ad nauseam dans Small Is Beautiful : le secret de la souveraineté alimentaire réside dans la production par les masses et non dans la production de masse.

Le burger Beyond Meat appartient à la production de masse et ne pourra jamais être produit par les masses. Le burger ordinaire, quant à lui, peut être produit par les masses… 

Beaucoup de chiffres le confirment déjà : nourrir le monde est l’affaire des paysans, des artisans et des gagne-petit.

Faire de l’argent est une autre affaire ; et c’est souvent l’affaire de conquérants qui choisissent d’exploiter les plus pauvres au bénéfice des plus riches.

Aujourd’hui plus que jamais, les tendances alimentaires ne suivent plus de logique concrète. On ne mange plus simplement ce qui peut être produit raisonnablement dans son patelin, on mange ce qu’on veut et on pousse l’audace jusqu'à dire aux autres ce qu’ils devraient manger. Ainsi, les fruits permis et défendus changent au gré des courants idéologiques, des plus récents pronostics scientifiques (financés ou pas par l’industrie) et des intérêts corporatifs qui profitent allègrement de nous tous, foules sentimentales.

Protéines animales ou végétales, industrielles ou locales, bio ou pas ? Tant de questions, mais si peu de gens souhaitant produire ce qu’ils mangeront. Choisir plutôt que produire, voilà la devise de l’époque dans laquelle nous vivons.

Exiger des autres qu'ils cessent d’utiliser des énergies fossiles et arrêtent de se nourrir de protéines animales alors qu’on habite dans une grande ville occidentale, qui carbure à l’énergie hydroélectrique et aux aliments importés, n’a rien de bien audacieux.

S’exploiter soi-même ou exploiter les autres, là est la véritable question.

Nonobstant les spectaculaires statistiques dont regorge l’internet sur les méfaits de la protéine animale (industrielle ou pas, semble-t-il), nous n’habitons pas tous au même endroit. Le climat, la composition du sol, la flore, la faune, la pluviométrie, les us et coutumes, et les régimes politiques, par exemple, ne sont pas les mêmes partout. 

Comment alors penser qu’une doctrine one size fits all puisse satisfaire tout le monde ? Qui oserait vraiment débarquer au beau milieu d’un petit village où les gens élèvent quelques animaux de trait, mangent leur riz, leur cochon et leur volaille, cueillent fruits et racines, boivent l’eau de la rivière, élèvent des enfants et s’occupent de leurs aînés, pour leur dire : « Voyons donc, manger des animaux, c’est tellement cruel ! » 

Une vue de l'esprit

S’exprimer sur les pratiques agricoles qu’on souhaiterait voir dominer toutes les autres, en se basant uniquement sur des chiffres ou des doctrines, et sans avoir jamais tenté de produire de la nourriture pour soi-même et pour les autres, est, au mieux, une vue de l’esprit.

Quand on y regarde bien, en fait, on se rend compte assez rapidement que ce genre de débat intéresse quasi exclusivement ceux qui ne produisent pas de nourriture et qui ont les moyens de manger ce qu’ils veulent.

Jamais je n’ai entendu de paysans ou de producteurs agricoles dignes de ce nom, d’ici ou d’ailleurs, me parler d’éliminer les animaux des systèmes agricoles. Même pas des maraîchers.

Là où j’habite, mon sol et mon climat m’ont amené à devoir préférer l’élevage de ruminants à la culture maraîchère.

La saison chaude est ici bien trop courte pour pouvoir me permettre de profiter de récoltes abondantes. Mes sols ressemblent à ceux de ces prairies, savanes et terres arbustives tempérées qu’on appelle aussi « steppes ».

Depuis mon arrivée, je travaille à engraisser, grâce au fumier de mes volailles et de mes chèvres, un pâturage rustique et vivace, sans travail mécanique, sans irrigation artificielle et sans ajouts d’herbicides ou de pesticides. Et c’est là la principale source alimentaire de mes chèvres. L’eau de pluie que je récolte, grâce à mes longues gouttières, abreuve les chèvres ; et le reste tombe tout naturellement sur le pâturage. La notion selon laquelle il faudrait 6800 litres d’eau pour produire une livre de viande rouge m’est ici complètement incompréhensible.

En somme, l’anéantissement de toute protéine d’origine animale et, par la bande, de tout sous-produit animalier (miel, fourrure, cuir) ou de tout travail accompli par des animaux m’apparaît comme un délire collectif d’une dangerosité sans borne.

Coupés de la réalité de ceux qui produisent ce que nous consommons, il est facile pour certains de manquer de perspective et de penser que tout aliment est à leur portée.

Heureux qui, comme Aladin, mange ce qu’il souhaite.

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