Le nouveau Parlement fédéral se réunit cette semaine dans un décor de divisions peu propice aux arbitrages raisonnés et à la promotion de nos intérêts collectifs.

Le sentiment d’aliénation des Prairies qui remonte à la politique énergétique des années 80 s’est manifesté avec plus de vigueur lors des récentes élections fédérales. Un nouveau mot apparaît : Wexit. Portées par les déclarations de Jason Kenney, Scott Moe et avant lui Brad Wall, les Prairies durcissent le ton à l’égard du Canada central, et particulièrement du Québec.

Le premier ministre Kenney a réitéré son objectif de tenir un référendum sur la péréquation d’ici 2021. Il a aussi annoncé des consultations publiques pour permettre à sa province de trouver une place plus avantageuse au sein de la fédération. À l’instar de Guy Laforest qui décrit les Québécois comme des « exilés dans leur propre pays », Jason Kenney déclare que les Albertains ne se sentent pas bienvenus dans leur pays.

Du côté du Québec, le tiers des électeurs ont redonné du souffle au Bloc québécois dont la raison d’être depuis 1990 demeure la séparation du Québec. Et malgré une tendance légèrement différente chez les jeunes, un quart des Québécois déclarent aux maisons de sondage ne pas éprouver de sentiment d’appartenance envers le Canada.

Que ce soit à l’égard de l’Ouest ou du Québec, faute d’effort pour comprendre les ressentiments et agir en conséquence, les perceptions se sont enracinées et ont engendré un réflexe de repli.

Interrogé sur le Wexit dans les jours suivant les élections, le professeur de sciences politiques à l’Université de la Saskatchewan Joe Garcea a déclaré : « Je ne pense pas que le tracé de nos frontières soit à risque… Ce qu’il faut craindre, c’est que des tensions et une animosité viennent empoisonner la vie des Canadiens. »

Selon lui, si le Wexit a peu de chance de réussir, la rancœur pourrait entraîner d’autres conséquences. À titre d’illustration, rappelons les incitations au boycottage des produits québécois lancées par l’ex-chef du Wildrose Party, Brian Jean, au lendemain de la déclaration du premier ministre François Legault sur « l’énergie sale » des Prairies.

La frustration populaire, légitimée par les leaders politiques, peut contaminer les relations humaines, sociales et économiques. Compte tenu de l’importance de l’espace économique canadien pour assurer notre progrès social, nous aurions avantage à tenter de désamorcer les tensions pour éviter les dérapages.

Dans son « Calepin 2019 », le ministère de l’Économie, de la Science et de l’Innovation rapporte que la valeur des exportations québécoises de services à destination du Canada surpasse le total de celles à l’international. Le Québec exporte des biens et services pour une valeur de 40 milliards de dollars en Ontario et pour 9 milliards en Alberta. Mis à part les États-Unis, aucun pays n’offre un marché de l’ampleur de celui de l’Ontario ou de l’Alberta.

Les échanges commerciaux sur le marché canadien sont d’une importance fondamentale pour le Québec et pour chacune des provinces. Objectivement, aucun Canadien ne peut souhaiter un affaiblissement de notre espace économique. Pourtant, les avantages économiques que nous partageons ne font pas le poids quand vient le temps d’évaluer notre degré de satisfaction relativement à la façon dont nous sommes traités au Canada.

Les rivalités canadiennes ne peuvent que nous affaiblir. En évitant de considérer les appels identitaires du Québec, la quête de réconciliation des Premières Nations et l’insatisfaction des citoyens de l’Ouest, le Canada comptait peut-être sur le temps pour effacer les problèmes. Il faut bien constater que ce ne fut pas le cas. Aujourd’hui, on peut penser qu’il peinera à rassembler les citoyens devant les difficiles choix de gouvernance auxquels il devra faire face, notamment ceux liés à la crise climatique et à ses effets sur notre mode de vie, la croissance de notre économie et notre solidarité sociale.

La classe politique a besoin d’aide

Michael Sabia de la Caisse de dépôt et placement du Québec a expliqué récemment le rôle accru que doivent jouer les grands investisseurs face à certains enjeux publics : « Les gouvernements sont de moins en moins capables d’agir efficacement sur plusieurs questions urgentes. »

Dans le contexte de polarisation actuel, où accepter d’écouter les récriminations des uns est dénoncé comme un aveu de faiblesse par les autres, les leaders politiques ne sont pas en mesure d’ouvrir un espace de dialogue respectueux et lucide permettant un arbitrage raisonné appuyé sur les intérêts réciproques.

On voit mal comment le gouvernement fédéral pourrait aujourd’hui y arriver après avoir négligé si longtemps de se préoccuper de la montée des insatisfactions.

Et on ne peut pas compter sur les premiers ministres des provinces, prisonniers de la victimisation et du durcissement, pour calmer le jeu. Clairement, si on veut éviter le dérapage, il faudra regarder ailleurs.

Le 29 octobre, le Conseil canadien des affaires a publié un rapport soulignant ses préoccupations concernant le vieillissement de la population, la stagnation de la productivité et les menaces économiques mondiales. Il dénonçait le peu d’intérêt porté à ces questions lors de la campagne électorale : « Le principal enjeu au Canada est l’absence d’un sentiment d’urgence. Ce n’est pas juste la faute du gouvernement. Une bonne part de la responsabilité revient également aux entreprises. »

S’il est vrai que la campagne a peu porté sur les défis de la démographie, de la productivité et des menaces économiques mondiales, les résultats de celle-ci ont mis en lumière les frustrations régionales et le risque de leurs effets sur notre économie intérieure. Souhaitons maintenant que devant l’urgence d’agir, les entrepreneurs et les acteurs sociaux assument une responsabilité publique et ouvrent un espace de dialogue respectueux et lucide.

La contribution positive de la classe politique ne sera possible qu’au moment où d’autres auront réussi à convaincre les Canadiens que la rancœur ne peut pas servir de guide.

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