Imaginez que vous avez consenti au don d’organes après votre décès. Vous avez signé l’endos de votre carte d’assurance maladie. Vous vous dites qu’aider d’autres personnes dans le besoin pourra donner un sens à votre mort. Pourtant, lorsque votre décès survient, les médecins demandent à votre famille si elle consent, elle aussi, au don d’organes.

Supposez que votre conjoint ou un proche parent refuse. Pour lui, extraire vos organes violerait le caractère sacré de votre corps. Les médecins respectent sa décision, ne procèdent pas au don d’organes et laissent votre corps intact. A-t-on transgressé vos dernières volontés ?

La réponse est évidente : oui. Vous avez généralement le droit de décider comment l’on dispose de votre corps.

Le droit est même clair à cet égard au Québec. L’article 43 du Code civil du Québec, sous le chapitre « Du respect du corps après le décès », prévoit qu’une personne peut autoriser le prélèvement d’organes ou de tissus verbalement devant deux témoins ou par écrit. L’article spécifie qu’« [i]l doit être donné effet à la volonté exprimée, sauf motif impérieux ».

Parmi les exemples de motifs impérieux, on compte le caractère impropre des organes qui rend la transplantation inutile.

Autrement dit, dès lors que vous avez consenti au don d’organes, votre famille n’a pas le droit de contrer vos volontés. On doit respecter la volonté des personnes décédées.

Pourquoi aborde-t-on la question ce matin ? Parce que, dans une chronique d’Isabelle Hachey parue cette semaine*, un médecin lui explique qu’« au Québec, un médecin doit impérativement obtenir l’accord des proches avant de prélever les organes d’un défunt ». Or, cette pratique va à l’encontre du Code civil.

Évidemment, demander l’accord des proches est une pratique louable sur le plan moral. On veut respecter le deuil des proches, éviter de les brusquer et leur laisser le temps nécessaire pour se recueillir auprès du corps.

Pourtant, lorsqu’on accepte le refus de la famille alors que la personne décédée avait consenti au don, ce sont des patients en attente d’organes qui subissent les conséquences de cette décision.

Comment trancher entre les besoins de la famille et ceux des malades ? En adoptant le Code civil, l’Assemblée nationale a décidé de laisser cette décision entre les mains de la personne décédée : il faut donner effet à sa volonté. L’Assemblée nationale reconnaît ainsi l’importance de l’autonomie de chaque personne sur son propre corps, même après la mort.

Risque de poursuites

Aller outre à la volonté de la personne décédée expose d’ailleurs les médecins et le personnel hospitalier à des poursuites. Comme le professeur Dominique Goubau l’explique dans le traité Le droit des personnes physiques, « on pourrait envisager une poursuite engagée par les héritiers et fondée sur la réparation du dommage moral, le dommage s’exprimant dans le “mépris de la volonté exprimée par le défunt” ».

D’ailleurs, en octobre dernier, la Cour du Québec a déclaré qu’une médecin avait commis une faute en empêchant la réalisation d’un don de tissus.

Un prélèvement de tissus ne peut être fait que dans les 48 heures suivant le décès et, avant de procéder, un acte de décès doit être signé par un médecin. Dans ce dossier, la médecin n’avait pas signé l’acte de décès dans les 48 heures suivant la mort. En omettant de signer l’acte dans le délai nécessaire pour la transplantation, la médecin a commis une faute pouvant engager sa responsabilité civile, selon le tribunal.

Le droit s’articule donc autour de cette idée : le respect des personnes décédées. Pour éviter ces embûches, la solution individuelle est simple. Parlez de votre désir de donner vos organes et tissus à votre famille et incitez-la à donner son accord. Ce n’est pas au personnel hospitalier de se placer entre le respect des proches endeuillés et le risque de poursuites. Ultimement, il faudra cependant revoir notre façon de procéder, en ajustant les protocoles médicaux ou en adaptant la loi à nos convictions morales.

Le député libéral André Fortin a d’ailleurs déposé un projet de loi visant à réformer le droit relatif aux dons d’organes. Voilà un bon véhicule qui, avec les amendements nécessaires, pourrait résoudre le décalage entre la pratique médicale et le droit. Le gouvernement refuse cependant d’aller de l’avant avec l’étude du projet de loi.

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