Le nouveau projet pour les aînés paraît alléchant : grands espaces, verdure, séparation des clientèles selon l’âge et les diagnostics.

Un retour dans les souvenirs de ma pratique infirmière en CHSLD me fait entrevoir que tout ce qui est annoncé n’a pas le privilège de l’innovation ni la garantie de la viabilité.

Le concept de « milieu de vie » est véhiculé depuis plus de 15 ans, mais faute de personnel suffisant pour l’appliquer, il n’a pu faire ses preuves. En effet, les activités quotidiennes se déroulent encore à des moments précis, prévisibles et quasi immuables.

Avec le nouveau programme annoncé, les personnes pourront-elles avoir des meubles personnels, décider de l’emplacement de leur téléviseur, individualiser les heures de leurs soins ?

Le personnel sera-t-il en nombre suffisant pour répondre à ces demandes ?

Si je m’attarde à la conception architecturale prévue des bâtiments, y aura-t-il une libre circulation entre lesdits bâtiments par l’intérieur sans devoir sortir ? Il est en effet bien plus facile d’organiser le travail et surtout d’avoir les ressources humaines requises pour 24 patients que pour 2 x 12 patients (entraide pour les « cas lourds », relais lors des pauses des employés, etc.).

La climatisation sera-t-elle réglable dans chaque chambre ou contrôlée dans un bâtiment central selon la météo prévue, comme cela se fait maintenant dans certains établissements ? Les personnes âgées sont souvent bien frileuses et portent parfois un chandail en juillet.

Je regarde maintenant l’organisation annoncée : séparation de la clientèle atteinte de la maladie d’Alzheimer des autres résidants. Il s’agit d’un débat où, pour de multiples raisons trop longues à détailler ici, les avantages et les inconvénients de la séparation ne font pas encore consensus dans la littérature.

Le Ministère semble avoir tranché en faveur de la séparation. Cela implique-t-il que des personnes à l’autonomie modérée à l’admission seront transférées dans un autre bâtiment lorsque leur état se sera dégradé, afin de répondre aux critères de classement selon leur diagnostic ? Y aura-t-il du soutien pour les familles à ce moment ? Si les personnes restent dans leur chambre, comment seront ajustés les quotas de personnel ? Quant on connaît la lenteur du processus pour apprécier l’alourdissement de la clientèle et la faible (ou inexistante) reconnaissance pour un ajustement de personnel aux besoins réels…

Une bonne nouvelle concerne la création d’espace pour les personnes dépendantes de moins de 65 ans, car il est irréfutable qu’actuellement, les ressources pour ces personnes sont rares, voire inexistantes.

J’aurais aimé que le projet parle de l’avenir de ces personnes une fois leurs 65 ans atteints. Seront-elles, elles aussi, transférées dans un autre bâtiment ? Et si elles restent dans leur bâtiment initial, au cours des années, le nombre de personnes de plus de 65 ans va augmenter. Revient-on à la case départ comme maintenant ? Cela a-t-il été évalué ?

L’apparence

Fini, dit-on, les corridors avec des instruments médicaux pour minimiser l’apparence d’un établissement de soins. J’y adhère sans compromis, car la beauté et l’esthétique des lieux sont importantes au quotidien, mais le risque est d’occulter que ces établissements sont des établissements de soins. Chaque personne est admise selon le seul critère du nombre d’heures-soins requises. Et c’est d’ailleurs ce que le concept « milieu de vie » a évacué depuis plusieurs années. Si je vous parle de sonde vésicale, de sonde gastrique, de gavage, de trachéotomie, d’hémodialyse, de contrôle de glycémie, d’insuffisance cardiaque et pulmonaire, de troubles psychiatriques, je vous parle bien de soins et non exclusivement de milieu de vie.

Conjuguer les exigences médicales et le milieu de vie, voilà le vrai défi à relever. Pour ce faire, il faudra du personnel qualifié et en nombre suffisant.

La bonne volonté du Ministère sera-t-elle à la hauteur des besoins réels ? L’avenir nous le dira.

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