La lettre s’adresse à la comédienne Anick Lemay, auteure du documentaire Mont Tétons : un guide de survie, présenté sur MOI&cie lundi dernier

Salut, Anick, c’est Julie, Alyson, Claudia, July, Johanne, Marie-Claude, Mariève, Nathalie, Annie, Patricia et les alliées qui, comme nous, vivent dans la section peu lumineuse du cancer du sein, celle qui n’est pas sous le spotlight.

Nous sommes des femmes avec ou sans cheveux, en couple, célibataires, avec ou sans enfant, jeunes adultes ou retraitées, avec ou sans seins, au travail ou invalides, des cancéreuses invisibles ou hors normes. Pour te situer, on se trouve sur le versant nord du Mont Tétons, sur le bord de la falaise. Dans les circonstances, permets-nous de te tutoyer, ça sera plus intime.

Ça fait peur, l’inconnu, c’est normal, tu sais. Mais tout comme ce n’est pas en parlant de la mort qu’elle arrive plus vite, ne deviennent pas métastatiques celles qui parlent de stade 4.

Nous avons suivi avec intérêt ton périple dans tes chroniques publiées dans Urbania. Du vrai, du sensible, du trash. On t’a toutes pris la main. À l’annonce du documentaire que tu allais réaliser, on a croisé sur les réseaux sociaux les avis de recherche de participantes, se demandant si une place serait faite aux femmes atteintes de cancer du sein métastatique.

Tout allait être montré, tout serait dit, nous l’espérions. Mais nous avons compris la semaine dernière que nous ferions bande à part, même s’il était annoncé que tous les stades de la maladie y seraient traités. Une confusion évidente entre étapes et stades du cancer a résulté en une promesse non tenue…

Dans un extrait, on apprend qu’une patiente a la sorte de cancer du sein dont personne ne veut : le « pire ». Nous nous sommes dit : enfin ! on parle de nous, les stade 4 ! Ben non. Déception. Le « pire », dans le documentaire, c’est le cancer triple négatif de stade 2. Out, le dark side of the stage 4.

Nous comprenons, il faut faire des choix. Nous sommes trop souvent en marge des grands mouvements populaires faisant la promotion du dépistage précoce, du mode survivante et du lumineux. Le cancer du sein métastatique, c’est gris. Nous savons que ce n’est pas par manque de compassion. Nous sommes un cas particulier avec lequel personne n’a vraiment envie de dealer.

À la lecture d’un article du Journal de Montréal, plusieurs d’entre nous ont été heurtées. On veut croire que tu as été mal citée.

Pour Anick Lemay, il n’était pas question d’aller plus loin dans l’intrusion de la maladie. « Je ne suis pas allée dans la statistique de mortalité, explique-t-elle. J’ai essayé de faire ça lumineux, alors on s’est arrêté au stade 3, juste avant le stade en cancérologie où il n’y a plus rien à faire à part une chimio qui va t’étirer et qui va te donner une meilleure qualité de vie jusqu’à ce que tu en meures. »

Ayoye. Une nouvelle cicatrice qui s’ajoute à celles des incompréhensions face à la réalité des femmes atteintes de cancer du sein métastatique. Anick, nous voulons mettre le pied dans cette porte pour te parler de cet inconnu qui fait si peur (pourtant, aucune d’entre nous n’a un troisième œil.) Alors nous avons écrit une version compressée d’un guide qu’on appellerait Les suivantes, comme « survivantes », mais sans le « rv », sans le véhicule récréatif…

 – Personne ne meurt d’un cancer du sein (yé !). On meurt de la propagation du cancer dans l’organisme, des fameuses métastases.

 – La stadification du cancer du sein va du stade 0 au stade 4.

 – La chance ? Peu importe que tu aies un stade 1 ou un stade 3, la réalité c’est que de 20 % à 30 % des femmes atteintes d’un cancer du sein au stade précoce (stade 1, 2 et 3) feront face au courant de leur vie à un diagnostic de cancer du sein métastatique. Oui, ça fait beaucoup de monde sous le gros nuage gris du stade 4. La notion de « petit cancer », de « guérison » ou de « prise à temps » nous fait lever les yeux au ciel.

 – La reconstruction, c’est une option et non une finalité. Ce n’est pas le baume ultime. Tu es tout aussi femme avec ou sans seins. En passant, la mastectomie n’est pas le remède à tout : quand la maladie est métastatique, il est fort possible que tu conserves tes seins originaux.

 – Nous avons des vies différentes, parsemées de beaux moments. Nos vies sont teintées par nos incapacités, les traitements, les effets secondaires, mais on n’est pas juste là à s’étirer devant la mort. Nous contemplons la vie, pas seulement le côté obscur.

 – C’est toi le boss. Avant, pendant et après les traitements. Tu es celle qui connaît le mieux ton corps. Quelque chose de louche ? Voici le moment de consulter un professionnel.

 – « Malgré les progrès réalisés en matière de dépistage précoce et de traitement, il n’existe à l’heure actuelle aucun traitement contre le cancer du sein de stade 4. Les femmes ont une espérance de vie médiane de deux ans […]. » C’est pas nous qui le disons, c’est www.parlonsstade4.ca.

 – 50 % des Canadiens ignorent ce qu’est le cancer du sein métastatique. Ils sont aussi 50 % à penser que, s’il est décelé à temps, le cancer du sein ne se propagera pas. Et 90 % des Canadiens croient que le diagnostic précoce améliore le pronostic du cancer du sein de stade 4. Boom.

 – Les soins palliatifs, ce n’est pas la même chose que les soins de fin de vie. Come on, nous savons très bien que les traitements et les soins servent à pallier et non pas à guérir.

 – Nous ne vivons pas dans un film où nous réalisons tous nos rêves : il y a de la vaisselle sale qui s’accumule, un nez d’enfant à moucher, des factures à payer…

 – Le 13 octobre est la Journée nationale du cancer du sein métastatique. Faites du bruit pour que plus d’argent soit dirigé vers la recherche, ce qui constitue notre seul espoir.

Ce n’est rien de personnel, tu sais, Anick. En nous omettant, tu nous as aussi offert le prétexte pour nous exprimer. Et nous permettre de faire ainsi honneur à toutes celles qui ne sont plus…

* Signataires : July Rochefort, atteinte du cancer du sein au stade 4 de novo 2013 ; Johanne Lavoie, au stade 4 de novo 2014 ; Alyson Beauchesne-Lévesque, au stade 4 de novo 2016 ; Nathalie Beauclair, au stade 2 2009, stade 2 2013, stade 4 2016 ; Patricia Estephan, au stade précoce 2015, stade 4 2017 ; Marie-Claude Belzile, au stade 3 2016, stade 4 2018 ; Claudie Rondeau, au stade 4 de novo 2018 ; Mariève Pelletier, au stade 3 2015, stade 4 2018 ; Annie Lachaine, au stade précoce 2016, stade 4 2019

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