Chaque fin d’été, on voit se succéder des prénoms que l’on attribue aux tempêtes tropicales qui ont le potentiel de devenir des ouragans menaçant vies, biens matériels et écosystèmes. Chaque année, on présente la crainte, le désastre qui risque de tout emporter et devant lequel on se sent impuissant, voire désespéré si l’on subit soi-même le risque.

Dorian est le cinquième ouragan de catégorie 5 depuis 3 ans, proportion statistiquement et historiquement perturbante. Intensité plus forte que d’aucuns attribuent aux changements climatiques, mais là n’est pas mon propos. On attend la crise, itérativement chaque année, sans chercher à vraiment l’éviter ou à en réduire l’intensité. Certains auraient proposé les armes nucléaires pour dissiper la tempête, mais de réels plans pour « contrôler » le climat et réduire l’occurrence les événements cataclysmiques sont rapidement oubliés après la tempête qui s’est soit dissipée, soit a laissé des dommages que l’on s’empresse de réparer.

Est-ce que notre réaction aux ouragans n’est pas symptomatique de notre vision des crises, climatiques ou sociales ? Plusieurs suggèrent que dans la chaos émerge le germe de solutions. J’ai pensé la même chose étant plus jeune, croyant que générer une crise n’a pas de mauvais côté pour l’opprimé, le défavorisé. L’histoire nous a souvent prouvé le contraire. Oka représente un bel exemple d’une crise passée qui continue d’affecter la vie de cette bourgade québécoise et les relations avec les populations autochtones. N’aurait-on pas pu autrement arriver à un dialogue constructif ?

Un ouragan, une crise secoue Hong Kong en ce moment. Sans égard à la raison qui l’a motivée, il faut comprendre qu’une crise ne se contrôle pas, allant jusqu’à déraper. Elle a une existence propre et indépendante qui agira selon des principes qui nous sont inconnus. Elle prendra comme l’ouragan une voie que l’on ne peut moduler ou même prédire qu’au dernier moment, et encore… Les effets de cette expression solidaire de désarroi et de peur sont actuellement inconnus. Mais entre-temps, les victimes subiront, impuissantes, les impacts de la crise, immédiats et futurs. Dieu sait ce qui adviendra de Hong Kong et de ses habitants quand le point de rupture surviendra… ou sera imposé de force.

Ainsi en est-il de toute crise sociale volontairement ou involontairement provoquée. Nul ne peut prétendre pouvoir contrôler tous les aspects d’un conflit ouvert et en sortir gagnant. La crise dérange, elle fait mal, elle laisse des traces qui, comme l’ouragan, peuvent ne jamais se résoudre.

Anderson Cooper, face au vent et les pieds dans l’eau, profite de l’impact d’un désastre pour susciter émoi et angoisse… pour quelques minutes. Le rythme des ouragans fait en sorte que l’on oublie rapidement Irma, Matthew ou Andrew. La multiplicité des crises qui frappent l’humanité est semble-t-il trop vaste pour capter l’intérêt des spectateurs plus que quelques instants, ceux-ci n’ayant comme souhait que de ne pas être aux prises avec une crise ou un ouragan.

L’adage veut qu’un malheur, voire une crise, n’arrive jamais seul. Cette maxime déterministe est peut-être vraie, mais ne peut s’appliquer à toute situation et tout individu. La maladie et le désarroi personnel qui s’ensuit surviennent plus souvent qu’autrement sans cause décelable. Je le constate malheureusement chaque jour. Mais qu’en est-il de toutes ces crises sociales qui surgissent à la suite de l’incurie publique ?

À mon avis, il faut craindre les gens qui savent que leurs actions ou leur indolence risquent de susciter les passions et de causer une crise qui amènera son lot de victimes collatérales.

Je vise ici particulièrement les individus qui appellent à l’intolérance, qui sèment le vent qu’ils veulent voir devenir tempête, qui précipitent mots et actions pour profiter de l’effet CNN et de la gloire spontanée. Et cela est vrai que l’on parle de diversité culturelle ou sexuelle, d’éducation, d’affaires municipales ou légales. Il est trop facile de susciter les passions et le désordre, d’attiser l’ouragan, via les réseaux sociaux par des messages d’intolérance, de fausse indignation et d’appel aux réactions primales.

Il est grand temps que surgissent et priment des éditorialistes, des politiciens, des leaders de la société civile qui viseront à prévenir les crises, par des appels à la raison, par leur temps de réflexion sans recherche de la nouvelle instantanée, par leur capacité au discours argumenté plutôt que la simple recherche de l’émotion réactive ou de la ligne assassine.

Au moment d’écrire ces lignes, Dorian a décimé une partie des Bahamas et poursuit une trajectoire incertaine vers les États-Unis. Ceci survient après une semaine au Québec que l’on a qualifiée de crise des médias. Dans chaque cas, il faut non seulement chercher à réparer, mais à chercher les causes pour éviter de répéter les fautes qui mènent à la crise. 

Une auteure venue de pays accablé par la guerre, Esther Johnson, a écrit : « Si tu sais garder le silence devant un ouragan, sache que tu peux régner sur le monde. » Comprendre, décrire sobrement, suggérer l’implication, prévoir et gérer les événements sont des gestes plus fondateurs que de susciter la crainte et la passion.

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