Chère université, à première vue, ton visage m’a semblé doux, attirant et plein de promesses, mais je sais maintenant, pour lui avoir fait face pendant trois ans, combien il est déformé.

À force de l’observer de plus près, j’ai commencé à le trouver laid, à trouver qu’il s’éloignait de celui qui m’avait séduite, à trouver ses yeux menteurs, son nez crochu et son sourire aussi jaune que la tarte au citron de ma grand-mère.

Chère université, du haut de tes talons toujours plus hauts que ceux de la voisine, la grandeur que tu te donnes me répugne, parce que même dans mes souliers Mickey Mouse, je ne me rappelle pas le jour où j’ai levé le menton pour te regarder. Quand tu paradais dans ton tailleur gris terne te rappelant ta notoriété, au lieu de m’impressionner, ça m’a plutôt rappelé à quel point j’aime porter du coton ouaté.

En entrant chez toi, on comprend que tes principes sont aussi désuets que tes locaux, que ton silence fait aussi mal, sinon plus, que les injustices qu’on y vit.

Chez toi, on apprend à pelleter des nuages dans un ciel complètement dégagé. Chez toi, on apprend à reconnaître qui est le maître, sans toujours comprendre ce qui en fait de lui un bon ; un maître, un doctorant, si loin d’un enseignant.

Chez toi, on se bat ouvertement contre l’abus sexuel, mais quand il s’agit d’abus de pouvoir, tu t’empresses de cacher ton visage derrière tes verres fumés, impénétrables. Pourtant, cet abus, il est là, flottant dans cet air pollué de non-dits. Puis, j’ai obtenu mon diplôme.

Tes corridors ont été d’interminables labyrinthes dans lesquels je me suis promenée nonchalamment, perdue, étourdie, n’ayant comme repère clair que la ligne de départ et celle d’arrivée, ne croisant que très rarement des parcelles de réalité. Entre tes murs me paraissant si étroits, ma créativité a été contrainte, les idées que tu m’as implantées ne m’ont jamais ressemblé (« selon toi » est en vérité « selon le professeur »), mais je t’ai toujours donné le meilleur de moi, en sachant pertinemment que tu ne me donneras pas le tien.

Bâtir ou niveler ?

Chez toi, ç’a été dangereux de performer, mais je l’ai fait, en étant sans aucun doute à la bonne place, dans le bon programme. Et à travers chaque réussite, tu as su me coincer dans le plus petit des recoins. Toi qui disais m’aider à bâtir mon avenir, j’avais pourtant la sensation que mes piliers les plus solides s’écroulaient petit à petit sous mes pieds. Je visais haut. Tu m’as rappelé la manie qu’a notre société, soit celle de niveler par le bas.

Chère université, malgré les apparences que tu tentes maladroitement de conserver, je trouve que tu vieillis mal. À vrai dire, j’ai l’impression que tu n’as jamais vraiment été jeune. Mais les étudiants, eux, le sont. Quand j’ai obtenu mon diplôme, je me suis sentie si fière, mais tellement incompétente. Par leur savoir, tes professeurs ont bêtement rempli la cruche vide que j’ai été et que je suis toujours. Aussitôt pleine, je déversais à mon tour tout mon savoir, qui n’en était pas un, sur mes copies d’examens. Après, je demeurais complètement vide, n’ayant rien retenu de la ligne 18 sur la diapositive 214 de la séance 11.

Ce que je retiens de mon passage chez toi, c’est le climat de peur dans lequel tu m’as tenue ; peur de ma propre impuissance devant ton visage à deux faces.

En souhaitant être le reflet de mes propres idées, tes théories pleines de grands termes ne m’ont rien dit. Mais le pire, c’est que former les étudiants ne fait pas partie de ta priorité, même si ce sont eux qui continuent de renflouer ta sacoche débordant déjà depuis la nuit des temps. Enfin, je retiens que je me suis toujours tenue droite, fière de n’associer mes réussites qu’à mon courage et ma persévérance, fière d’avoir fait de mon anxiété mon alliée, fière d’avoir été honnête et fière d’être restée un cœur parmi des milliers de têtes.

Toi, chère université, retiens que ton apparence, excellent outil de séduction, cache une blessure narcissique cruellement profonde. Retiens que ton visage difforme déforme celui de la réalité à laquelle tu ne m’auras pas préparée. Retiens que le pouvoir que tu te donnes n’est qu’une autre de tes constructions imaginaires. Mais surtout, retiens que derrière ta belle grandeur, se trouve, comme dans chacun de nous, quelque chose de bien minuscule.

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