La plupart des Québécois ignorent encore le nom de leur ministre de l’Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, et pour cause. Dès sa nomination, Benoit Charette a adopté un profil bas, notamment en ce qui concerne les mégaprojets industriels au Saguenay. Or, ceux-ci représentent des investissements de plusieurs milliards de dollars financés par des intérêts étrangers et misent sur l’exportation de leur production vers l’Europe et l’Asie.

Le premier projet consiste à construire un troisième port en eau profonde sur la rive du Saguenay, à la hauteur de Sainte-Rose-du-Nord, qui servirait à l’expédition du minerai de l’entreprise Arianne Phosphate. Cette mine se situe pourtant à plus de 200 km au nord ; l’acheminement du phosphate gagnerait à se faire par voie ferrée en direction du port en eau profonde de Baie-Comeau au lieu de transiter par un parc de camions géants vers le Saguenay, comme le préconise l’entreprise.

L’aménagement d’une nouvelle voie ferrée passant près de la mine est justement prévu en 2024. Cependant, pressée de lancer les opérations, Arianne Phosphate tient mordicus à son port, dont l’énorme façade taillée dans le roc par dynamitage défigurerait une section du fjord bien en vue à des kilomètres à la ronde.

Le deuxième grand projet est la construction à La Baie, toujours sur la rive du Saguenay, d’une usine de liquéfaction de gaz naturel en provenance des puits de l’Ouest canadien.

Cette usine de l’entreprise GNL Québec serait alimentée depuis le nord de l’Ontario grâce à un nouveau gazoduc de quelque 700 km traversant le territoire québécois. L’ensemble de l’opération porte le nom d’Énergie-Saguenay.

Un troisième projet important dans la région, Métaux BlackRock, a déjà reçu toutes les approbations requises et sera bientôt en chantier, entraînant lui aussi une augmentation du trafic maritime sur le fjord.

La CAQ et l’environnement

Ces derniers jours, le premier ministre François Legault a multiplié les déclarations en faveur du projet de GNL Québec, pourtant de plus en plus contesté par les scientifiques et la population, tant au niveau local que provincial. M. Legault s’est approprié le dossier de l’environnement alors qu’il ne possède aucune compétence dans le domaine et semble déterminé à rester dans l’ignorance, malgré la main tendue par Dominic Champagne et son Pacte pour la transition. Ce dernier qualifie le Projet-Saguenay de « rétrograde et mortifère ». Québec solidaire et le Parti québécois le condamnent tout aussi vertement.

Il est vrai que la Coalition avenir Québec n’a pas été élue sur la base de ses convictions écologiques. Son programme ne comportait aucune mesure concrète destinée à lutter contre les changements climatiques. Longtemps dans l’opposition, elle n’a jamais manifesté la moindre préoccupation environnementale. Comme l’idée de l’indépendance continue de rebuter une majorité de Québécois qui voulaient par ailleurs se débarrasser des libéraux, ils ont porté au pouvoir un gouvernement caquiste majoritaire avec seulement 37,5 % du suffrage.

Après avoir fait campagne au centre gauche sur la plupart des enjeux de société, la CAQ s’est positionnée à droite en matière d’environnement.

Charmé par le discours de Jason Kenney, son homologue conservateur de l’Alberta, François Legault vante maintenant le gaz de schiste en prétendant qu’il serait moins « sale » que le pétrole en provenance des sables bitumineux de la même province. Or, il s’agit encore d’un carburant fossile dont l’extraction au moyen de puits de forage a un coût environnemental élevé. Sa liquéfaction pour fins d’exportation avec GNL Québec aurait pour seul avantage écologique d’utiliser l’électricité d’Hydro-Québec afin de l’exporter. Un gain illusoire dans l’ensemble du processus.

Les promoteurs de GNL Québec prétendent que le gaz canadien liquéfié au Saguenay est destiné à remplacer le charbon et le mazout dans les pays importateurs en tant qu’énergie dite de transition. Mais il risque plutôt d’augmenter la somme de GES à l’échelle mondiale en s’additionnant aux autres carburants fossiles dans ces pays, ce qui retarderait du même coup l’émergence de sources d’énergie renouvelables, seules garantes d’un développement durable.

Les organismes gouvernementaux chargés d’évaluer l’impact environnemental de tels projets (l’ACEE au fédéral et le BAPE au provincial) ont pour mandat de se limiter au secteur géographique de l’implantation des installations. Cette segmentation ne donne pas une idée exacte de l’émission globale de GES et des autres dommages collatéraux en amont et en aval du processus de liquéfaction. Les super méthaniers vont franchir de très longues distances en passant par des milieux sensibles abritant une faune marine déjà fragilisée, à commencer par le fjord du Saguenay. Le ministre Charette n’a rien fait pour corriger cette lacune.

Les données fournies par Arianne Phosphate et GNL Québec concernant l’impact environnemental de leurs projets respectifs en minimisent les inconvénients tout en gonflant leur potentiel de création d’emplois permanents et de retombées économiques à long terme. Comme si notre région, déjà largement tributaire de l’aluminium et du bois d’œuvre, devait accroître toujours plus sa production industrielle lourde destinée au marché international au détriment de son écosystème et, par conséquent, de la qualité de son milieu de vie.

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