Lorsque Trump a été élu, je me souviens d’une conversation avec la chercheuse et chroniqueuse Élisabeth Vallet, au cours de laquelle nous avons débattu du ressac antiféministe qui allait suivre cette funeste élection.

La vague #moiaussi a rassuré : des millions d’entre nous ont dénoncé abus et agressions, entraînant des discussions fertiles au sujet des stéréotypes, des violences sexuelles, et aussi des poursuites en justice, des lois et règlements encadrant ces violences, et on peut dire que la planète réagit encore à ce mouvement.

La facture

Avec le recul, je me demande si nous ne sommes pas en train de payer le prix de cette libération. Je ne crois pas me tromper en affirmant qu’un ressac se pointe bel et bien à l’horizon. Il n’a pas les mêmes contours que le dernier, celui que Susan Faludi a décrit en 1991 dans son Backlash – The Undeclared War Against American Women, et qui s’est notamment incarné dans la culture populaire et médiatique hostile à l’égard des féministes.

Le ressac de notre époque vise davantage les droits que l’on croyait acquis pour toujours.

Même si c’est tendance aujourd’hui d’afficher son féminisme, le retour du refoulé fait son travail.

Au pays, l’approche des élections fédérales mobilise des groupes anti-avortement d’un océan à l’autre. La remise en question du choix en matière d’avortement aux États-Unis et au Canada, la montée fulgurante du populisme et des valeurs de droite, le retour du religieux dans le discours public et politique, tout cela n’augure rien de bon pour les femmes, ni pour les valeurs progressistes.

Pendant ce temps

La semaine dernière, la présidente de la Fédération des femmes du Québec (FFQ), Gabrielle Bouchard, a dû se défendre d’un gazouillis sur la vasectomie qui se voulait ironique, mais qui a plutôt déclenché haine et transphobie. Pour qui suit les débats sur l’avortement, on saisit pourtant bien le sarcasme qu’elle a voulu illustrer. Si j’estime son courage et son culot, j’ai été troublée en lisant l’entrevue qu’elle a accordée ensuite à la journaliste Isabelle Hachey dans La Presse du 12 juin. Gabrielle Bouchard a prononcé une phrase qui m’a laissée perplexe, lorsqu’elle a dit que le féminisme à la FFQ s’était traditionnellement « bâti autour de l’utérus » et d’une vision des femmes comme des « objets reproducteurs ».

Ces propos manquaient de délicatesse et de perspective historique, et si je doutais de ses bonnes intentions, je dirais qu’il y avait dans ses mots une pointe de mépris. Je suis évidemment d’accord avec le fait que les femmes ne se réduisent pas à leur utérus, mais c’est quand même un peu à cause de lui que les grands débats féministes se sont construits. Heureusement que des femmes se sont tenues debout pour gagner des droits fondamentaux, et pas seulement en matière de congé de maternité.

Classes et identité

Actuellement, les discours essentialiste (plaçant l’accent sur la dimension biologique) et identitaire (le fait de s’identifier avant tout à un genre ou à un groupe) occupent beaucoup d’espace, et excluent des débats féministes l’aspect politique des inégalités économiques. Pourtant, le capitalisme sauvage fait des ravages, et continue de menacer les protections sociales, détruisant une vision de l’État providence qu’on est en train d’abandonner.

Autant le féminisme essentialiste formule une vision des femmes étroite et contraignante, autant le féminisme d’identités a ses limites.

L’identité ne peut pas se substituer aux catégories de classe, qui sont déterminantes pour les conditions de vie et de choix des femmes.

Par exemple, dans un contexte où l’accès à l’avortement est restreint, une femme riche trouvera toujours les ressources pour subir une interruption volontaire de grossesse qui ne met pas sa vie en danger. Autre exemple : les mères porteuses et les travailleuses du sexe sont plus souvent pauvres que riches. De cela, on parle peu aujourd’hui, évacuant ce débat aux oubliettes.

D’une certaine façon, on transpose les inégalités de classe dans le mouvement féministe, et l’on substitue les causes économiques de la pauvreté et de l’exclusion à des causes identitaires. Dans les faits, les deux s’additionnent, comme le prône justement le féminisme intersectionnel. Mais il faut s’occuper des deux. Le populisme gagne du terrain, et ce n’est pas lui qui va régler les problèmes économiques des femmes, qui restreignent leurs libertés et leurs choix de vie.

En attendant les riches débats de l’automne électoral, je vous souhaite un bel été !

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