Nous entendons de plus en plus parler de l’épuisement des aidants naturels, ces adultes qui s’occupent d’un membre de leur famille en perte d’autonomie. Et cela risque d’augmenter de plus en plus avec le vieillissement de la population.

Il est vrai qu’aider une personne non autonome est une lourde tâche, mais nous devons réaliser qu’en plus, si cette personne est quelqu’un de significatif (père ou mère), le volet affectif vient encore davantage alourdir cette tâche. Toutefois, ce ne sont pas tous les aidants qui vivent une détresse invalidante. Pourquoi certains s’en sortent plutôt bien et d’autres pas ?

Le lien d’attachement

Nous oublions souvent qu’il y a un aspect majeur à considérer dans notre compréhension de l’épuisement des aidants, le lien d’attachement qui unit l’aidant à l’aidé. Plusieurs aidants sont les enfants de parents avec lesquels la relation n’a pas toujours été facile. Dans le cas précis d’un lien d’attachement difficile, les pressions psychologiques sur l’aidant deviennent extrêmement fortes. Et malgré toutes ces tensions, plusieurs enfants demeurent tout dévoués à leurs parents. Pourquoi est-ce ainsi ?

Tous les enfants se développent en respectant inconditionnellement ce que leurs parents leur dictent.

Pour un jeune enfant, ne pas respecter son parent, s’en détacher est perçu comme dangereux, car sans son parent, l’enfant ne peut pas survivre physiquement et psychologiquement.

Cependant, en vieillissant, l’enfant est souvent tiraillé entre ce respect inconditionnel qu’il voue à son parent et son vécu affectif, qui est souvent contraire à ce que le parent lui fait vivre. Mais c’est toujours la vision du parent qui supplante le ressenti de l’enfant. Ainsi, ce ressenti affectif refoulé devient inconscient.

L’ambivalence amour-haine

Être livré à un parent qui a généré en nous plusieurs stress importants (un parent que l’enfant ne peut se permettre consciemment de contester) entraîne souvent une association précoce de l’amour et de la haine. Le sentiment qui est acceptable à la conscience de l’enfant étant l’amour envers son parent, tandis que celui profondément ressenti et refoulé étant la haine envers ce même parent.

L’ambivalence amour-haine demeure donc une caractéristique du ressenti de l’individu devenu adulte dont les conflits de l’enfance demeurent non résolus.

Ainsi, l’individu aura beaucoup de difficulté à concevoir l’amour sans cette ambiguïté de haine qui doit y être associée. De ce fait, tous les sentiments amoureux (qui s’associent à l’entraide) seront teintés d’un sentiment irrationnel de sacrifice, d’angoisse, d’humiliation ou d’offense potentielle. Or, il n’est pas rare que les adultes affublés de ce sentiment amour-haine deviennent des aidants naturels avec un ressenti extrême d’ambiguïté. Je dois m’occuper de mon parent, mais je ressens en même temps un profond embarras à le faire.

Les défenses activées

Le fait que le voile ne peut être levé sur tous ses ressentis dans l’enfance amène la personne adulte à maintenir très actives une multitude de défenses. Les principaux mécanismes de défense étant le déni (ex. : mes parents ont été aimants à leur façon), les croyances irrationnelles (ex. : me laisser seul avec ma détresse a permis de faire de moi quelqu’un de plus fort, de plus résistant) et les compulsions (ex. : consommation d’alcool, implication excessive au travail, dévotion pour les autres, etc.). Ces mécanismes visent essentiellement à se défendre du ressentiment refoulé envers les parents, une animosité qui est inacceptable à la conscience. L’objectif étant de demeurer caché à soi-même, mystifié pour survivre, en ne laissant pas remonter la détresse à la conscience.

Or, la présence de tous ces mécanismes de défense aura comme effet un appauvrissement de la connaissance de soi, de l’identité de l’individu.

Loin de ses réelles émotions, de ses réelles motivations, l’individu passera sa vie à aborder les événements de façon stéréotypée et superficielle. Il deviendra ce que l’on attend de lui. Il avancera peu sûr, dissocié de ses réels besoins et motivations, aveuglé par la désirabilité sociale de son entourage, dont celle de devoir s’occuper de ses parents qui n’ont pas toujours été bienveillants.

Et vient l’épuisement !

Pour maintenir ses mécanismes de défense actifs, vigilants et aiguisés (et ainsi éviter de toucher à ses blessures d’enfance), l’individu aura tendance à choisir des situations de vie (ex. : amis, partenaire amoureux) et des activités (ex. : devenir aidant naturel) dans lesquelles l’autre est susceptible de réactiver ses traumatismes refoulés. L’objectif étant ainsi d’amener ses défenses à être constamment activées, sur le qui-vive, pour ne pas être en contact avec son vécu d’enfance.

C’est ainsi que l’on peut expliquer pourquoi certaines personnes qui viennent de sortir d’une relation amoureuse perverse et conflictuelle en commenceront une nouvelle tout aussi dysfonctionnelle, sinon plus. C’est par cette dynamique de défense des stress refoulés que l’on explique également que tant d’adultes profondément blessés dans leur enfance vont finir leur vie auprès de leurs parents malveillants, en jouant le rôle de l’aidant naturel. Toutefois, cela a un coût énorme pour l’aidant, celui de s’épuiser parfois même jusqu’à la détresse.

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