J’espérais t’écrire ces lignes un jour, à toi, ma petite virgule. Ça faisait longtemps qu’on s’était vu quand on s’est recroisé en septembre.

Tu avais grandi. C’est à ton « Bonjour, Mme Prénom » que je t’ai reconnue. Tu m’as demandé où j’étais ces deux dernières années. Je t’ai répondu que j’enseignais dans une autre école, une école que j’avais appris à découvrir et où j’avais connu des élèves et des collègues formidables. C’était la réponse courte. La vraie réponse, c’était que mon nom avait été ballotté sur plusieurs listes avant de se poser, avec soulagement, en terrain connu. D’un statut précaire à un statut permanent, de « poste en surplus dans son école » à la possibilité, à minuit moins une, d’utiliser le seul joker du paquet, la carte du « droit de retour à l’école d’origine » que j’avais précieusement conservée, j’étais finalement de retour pour « la vie » ou jusqu’à ce que le monstre « mutation obligatoire » ne revienne hanter ma classe.

C’était un gros engagement que d’accepter un statut permanent. C’était la fin des flirts avec les autres écoles, avec les pourcentages de tâche à combler avec la suppléance, et des déménagements annuels. Par contre, ce n’était pas la fin des incertitudes.

Notre système ressemble au passage primaire-secondaire : tu passes du plus grand de l’école, celui qui a la priorité dans la cour, au plus petit, celui qui se fait dépasser à la cafétéria et qui n’a pas de choix de repas. Néanmoins, j’allais pouvoir commencer à m’enraciner, à faire pousser des branches de projets qui ultimement se transformeraient en bourgeons de réussites. Cette fois, je n’allais pas devoir quitter en juin. Je pourrais contempler, à l’automne, un brin de ce que j’avais semé. Mon petit arbre rejoindrait la belle et grande forêt que mes dévoués collègues cultivent avec soin depuis plusieurs années. Elle n’est pas à l’abri des tempêtes ni des changements climatiques, mais elle demeure forte et continue à se battre pour offrir à la relève une éducation de qualité qui lui permettra de l’entretenir à son tour, le jour venu.

Pour la première fois, lors du dernier cours, j’aurai la chance de te dire : « À l’année prochaine. » Enfin, en septembre, je commencerai l’année scolaire en ajoutant ton prénom à mes salutations. Je pourrai te demander ce que tu as fait cet été, plutôt que de me présenter pour la 10e fois. J’ai hâte que tu me racontes que c’est à Paris qu’on mange les meilleurs croissants, que le plus beau lever du soleil est au volcan Haleakala et que tu as pris des photos magnifiques à ajouter au mur de NOTRE classe. Puis, sans plus attendre, commenceront les grands projets, ceux qu’on s’était promis en juin.

Petite virgule, tu sais, tu deviendras mot, phrase, puis tranquillement paragraphe, l’instant de ton bref passage dans notre histoire.

Ce sera la tête remplie de connaissances, le cœur tatoué de souvenirs et un paragraphe signifiant imprimé sur un diplôme que tu partiras, fin prête à écrire la tienne. Il y aura certes quelques pages blanches, de petites erreurs de syntaxe, des fins de chapitres un peu abruptes ou même plusieurs tomes, mais c’est ce qui la rendra plus riche de sens, crois-moi. Ces histoires, je les garde précieusement dans mon grand recueil de fierté auquel j’espère ajouter des pages pendant encore de nombreuses années. J’aurais pu choisir une autre école, tu sais, mais c’est toi que je veux voir grandir. Merci de laisser, au passage, une petite virgule dans ma vie, dans mon histoire.

À l’année prochaine !

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