N’ajustez pas votre appareil. Ce texte parle de Ludivine Reding, la comédienne qui a joué le rôle de Fanny dans l’émission Fugueuse. Potins de stars ?

Non. Parlons plutôt du droit à l’erreur, à l’ère où on s’imagine que tout le monde est tout le temps tenu au seuil inatteignable de la perfection. Alors que comme personnes humaines, nous ne sommes pas la perfection. Nous sommes défauts et incohérences.

Dans Fugueuse, le personnage de Fanny est celui d’une adolescente de 16 ans tombée sous le charme d’un rappeur proxénète. Compte tenu de la popularité de l’émission, il n’en fallut pas plus pour que Ludivine devienne un emblème de la lutte contre l’exploitation sexuelle. Et un modèle pour les adolescentes et adolescents du Québec.

Mais voilà que le dimanche 19 mai, lors du festival de hip-hop Metro Metro, Ludivine est montée sur scène lors du spectacle du rappeur Enima. Puis elle a passé du temps avec lui en coulisses.

Le hic, c’est qu’Enima a été accusé devant la cour criminelle ontarienne en 2017 de crimes liés à la traite de personnes et au proxénétisme. Ces accusations sont tombées l’année suivante. N’empêche que dans ses chansons, Enima fait l’éloge de l’argent facile et de la soumission des femmes.

Les photos et les vidéos mettant en vedette Ludivine et Enima ont suffi pour enflammer l’internet.

Au lendemain du spectacle, Ludivine s’est excusée publiquement, reconnaissant qu’elle avait commis une « erreur » et indiquant qu’elle aurait « dû réfléchir davantage et être plus vigilante ».

Ludivine a fait le choix d’utiliser son image publique pour lutter contre l’exploitation sexuelle grâce à des déclarations publiques ainsi qu’en s’associant à des organisations qui portent cette cause. Ceci comporte l’obligation de ne pas promouvoir, en réalité ou même en apparence, ce type d’exploitation. 

Qu’elle l’ait voulu ou non, par le geste qu’elle a posé le 19 mai, Ludivine a lancé aux adolescents et adolescentes un message qui tend à banaliser ce qu’elle a par ailleurs dénoncé dans Fugueuse. Faut-il pour autant condamner Ludivine ? Non.

Pourtant, nous apprenions jeudi que Ludivine démissionnait de son rôle d’ambassadrice de l’organisme Réseau Enfants-Retour, qui met notamment en œuvre le programme AIMER. Ce programme s’adresse aux jeunes de 10 à 13 ans et vise à prévenir l’exploitation sexuelle.

Si l’on en croit l’annonce faite par Ludivine sur Facebook, sa démission n’était pas volontaire. L’organisme, dans son communiqué, laisse plutôt entendre le contraire.

Quoi qu’il en soit, il s’agit là d’un gâchis. L’erreur commise par Ludivine ne devrait pas la disqualifier de son rôle d’ambassadrice dans la lutte contre l’exploitation sexuelle.

En tant que juriste et gestionnaire d’un organisme à but non lucratif, je crois comprendre les risques « réputationnels » que soulève un cas comme celui-ci. Cela dit, on ne devrait pas s’attendre à ce que les porte-parole et ambassadeurs d’une cause soient irréprochables. Ce sont des personnes humaines, d’abord et avant tout, qui commettent des erreurs et devraient avoir droit à une seconde chance. La disqualification est nécessaire seulement lorsque l’organisation estime que le lien de confiance avec la personne visée est brisé de façon irréversible. Ce n’est pas le cas ici.

Âgée de seulement 22 ans, Ludivine a commis une erreur, soit. Elle s’est par la suite excusée. Rien n’indique qu’elle entend promouvoir l’exploitation sexuelle. D’ailleurs, l’incident qui s’est produit au festival Metro Metro pourrait être utilisé afin d’offrir un éclairage sur ce que vivent des jeunes filles et jeunes femmes. En ce sens, Ludivine elle-même, par son erreur, a illustré l’importance de la prudence à exercer dans le choix de ses fréquentations.

Elle a désormais une histoire plus profonde à raconter. Celle de la jeune femme qui, dans un contexte festif, a pour un instant fréquenté un individu qu’elle aurait possiblement évité si elle avait été plus prudente.

Quelles étaient les motivations de Ludivine au moment de l’incident ? À quoi a-t-elle pensé ? Qu’est-ce qu’elle a négligé ? Elle aurait beaucoup à raconter et elle serait possiblement en mesure de faire des liens avec certaines situations vécues par les jeunes filles.

Pourquoi ne pas lui proposer de s’exprimer là-dessus à des fins pédagogiques, plutôt que de la condamner ?

Notre société a tendance à tout aseptiser, à exiger l’irréaliste perfection, partout, tout le temps. C’est essoufflant. Nos politiciens n’ont aucun droit à l’erreur sous peine de ne pas être réélus. Les entreprises soumises aux lois du marché sont aussi frileuses de s’ouvrir à l’erreur, de peur de perdre leur valeur.

Chers collègues des OBNL et autres membres du secteur social, nous ne sommes pas soumis aux pressions de la politique ni aux lois du marché. De plus, nous défendons des idéaux au service d’une meilleure société. Nous avons donc la responsabilité de démontrer que l’erreur est humaine. D’aller au-delà de la pression de la perfection qui nous impose de tout expliquer en noir et blanc, en bon et mauvais. Nous savons qu’un humain est complexe et peut à la fois représenter une cause et paradoxalement poser des gestes au détriment de cette cause. Nous devons exposer que l’humain est imparfait et qu’il est en mesure de s’amender. Ceci ferait la preuve que vivre, c’est aussi commettre des erreurs.

Si la fin de l’association entre le Réseau Enfants-Retour et Ludivine Reding ne tient qu’à l’incident du 19 mai, il s’agit d’une fin regrettable qui mérite d’être revue.

Qu'en pensez-vous? Exprimez votre opinion