Le référendum tenu récemment à l’Île-du-Prince-Édouard a rappelé cette évidence qu’une réforme du mode de scrutin devait être ratifiée par les citoyens, seuls véritables propriétaires de cette institution politique qui est au cœur de leur démocratie. Ce n’est pas un hasard s’il y a toujours eu des référendums dans les situations analogues ailleurs au Canada.

Il sera difficile de ne pas faire de même ici, de l’aveu même de l’un des principaux défenseurs de la proportionnelle au Québec depuis 20 ans, le politicologue de l’Université Laval Louis Massicotte (« La déroute de la proportionnelle en Colombie-Britannique », Le Devoir, 5 janvier 2019.

Folie de première grandeur

Au-delà de ses multiples effets pervers dont on ne parle jamais, plus le débat se fera sur la proportionnelle, plus il deviendra évident que c’est une folie de première grandeur dans une perspective québécoise, dont l’effet sera de diminuer substantiellement le pouvoir du seul gouvernement contrôlé par une majorité francophone sur le continent, de même que le poids politique de cette dernière.

C’est l’ancien ministre péquiste Jean-Pierre Charbonneau qui est le principal responsable de cette dérive.

Au cœur des discussions entre les représentants de la CAQ, du PQ et de QS qui ont abouti à l’entente de mai 2018, il révélait récemment que c’était lui qui avait carrément écrit le texte de celle-ci.

Plus encore, le Mouvement démocratie nouvelle (MDN), que M. Charbonneau dirige et dont l’absence de représentativité est totale, s’est vu reconnaître par le gouvernement Legault un rôle clé dans le choix des cruciales modalités de cette réforme constitutionnelle majeure.

Le comble, c’est que la ministre de la Justice, Sonia LeBel, vient d’accorder au MDN une subvention de pas de moins de 250 000 $ pour faire sa propagande en faveur de la proportionnelle auprès des Québécois.

Quelle honte ! Un quart de million à même nos taxes et impôts pour des gens qui travaillent à rabaisser le pouvoir québécois !

Sans oublier ces millions de fonds publics déjà gaspillés en pure perte dans une autre initiative non représentative de M. Charbonneau il y a 15 ans, ces États généraux sur la réforme des institutions démocratiques qui n’ont servi à rien.

Les libéraux favorisés

Si la proportionnelle est une folie pour le pouvoir québécois, elle l’est encore plus pour les caquistes.

Dans tous les cas de figure, la CAQ se retrouve en effet le dindon de la farce de l’affaire, le PLQ étant le parti politique qui a le plus à y gagner, avec Québec solidaire, bien sûr, et peut-être le PQ.

Voici pourquoi.

Il ne sert à rien pour les libéraux de l’emporter dans des circonscriptions non francophones de la région de Montréal avec des majorités pouvant aller jusqu’à 80 % des voix, alors qu’une simple pluralité des suffrages suffirait. C’est ce qui explique qu’à pourcentage de vote égal, les libéraux ont toujours moins de sièges que les partis exclusivement francophones dans le système actuel.

Avec la proportionnelle s’ajouterait aux circonscriptions assurées dont le PLQ dispose déjà la revalorisation du poids électoral d’une clientèle trop concentrée dans un nombre limité de circonscriptions pour que cela soit rentable dans le système actuel.

Un mode de scrutin proportionnel, sur une base nationale ou une base régionale avec une région montréalaise aux frontières élargies, fera en sorte que le vote en bloc pour le PLQ lui donne des députés supplémentaires « de liste ».

On peut être certain que les libéraux feront tout pour qu’il en soit ainsi, d’autant plus qu’en décidant récemment d’appuyer le principe d’une réforme du mode de scrutin, ils ont substantiellement augmenté leur pouvoir d’influer de facto sur elle.

Comment pourrait-on sérieusement parler de consensus si les libéraux décidaient de se retirer ?

Bon sens populaire

On n’aura peut-être pas besoin d’aller jusqu’au référendum pour enterrer ce projet mortifère pour le pouvoir québécois, étant donné que les intérêts électoraux sont fondamentalement divergents entre le PLQ et QS d’une part, qui pousseront sans doute pour la proportionnelle nationale, et le PQ et la CAQ d’autre part, qui devraient être pour la proportionnelle régionale.

Chose certaine, le droit de décider ultimement de cette affaire n’appartient pas à des élites politiques et intellectuelles déconnectées du pouvoir québécois, qui ont fait régulièrement passer depuis un demi-siècle leurs obsessions idéologiques avant la préservation de ce dernier.

C’est au peuple québécois qu’il appartient de trancher, ce peuple qui a davantage fait preuve de bon sens et d’instinct de survie tout au long de son histoire.

* Christian Dufour publiera en août 2019 un livre à la défense du mode de scrutin québécois.

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