En réponse à l’éditorial de Paul Journet, « Vingt-cinq ans plus tard, rien n’a changé », publié le 28 avril dernier.

L’éditorial de Paul Journet résume et analyse deux études qui associent étroitement la « ségrégation » scolaire (public, public enrichi, privé) à l’accès aux études de troisième cycle (collégial et universitaire) ; le lien observé favorise les élèves du secteur privé ou public enrichi, qui poursuivent en beaucoup plus grand nombre des études supérieures.

L’accroissement de ces écarts au cours des 25 dernières années constitue aux yeux des auteurs, et aux yeux de M. Journet semble-t-il, une aggravation alarmante de ce phénomène qu’est la « reproduction des inégalités sociales ».

Selon le texte de l’éditorial, les deux études à la base de cet éditorial ne mentionneraient « officiellement » qu’une seule source d’inégalité, celle des structures, qu’elles érigent en cause suprême : ce sont essentiellement nos structures scolaires à trois voies qui engendrent d’importantes inégalités dans l’accès aux études supérieures. 

Mais de quelles inégalités s’agit-il ? C’est là qu’apparaît en filigrane ce que ces auteurs jugent être la véritable cause de ce phénomène ; il s’agit des inégalités, essentiellement socioéconomiques bien sûr, entre classes sociales. Le raisonnement peut se résumer comme suit : les riches ont les moyens d’offrir à leurs enfants des cheminements scolaires enrichis, lesquels accroîtront énormément leurs chances d’accéder aux études de troisième cycle, et d’obtenir ce faisant des professions plus rémunératrices. Ils deviendront donc plus riches, « reproduisant » ainsi les inégalités observées dans la génération de leurs parents.

Selon cette idéologie, la cause profonde des écarts de diplomation, c’est donc essentiellement l’argent, par le biais du statut socioéconomique des parents ; et le système québécois de « ségrégation » (ghettoïsation ?) à trois voies devient selon ces auteurs le médiateur du lien causal entre le statut socioéconomique parental et le niveau d’éducation. 

M. Journet tente d’introduire de la prudence interprétative en introduisant une autre variable explicative : le rôle des parents. Toutefois, en ne s’arrêtant qu’au statut socioéconomique parental (éducation, revenus), il se trouve à appuyer la thèse idéologique des auteurs. Mais peut-on vraiment réduire la réussite scolaire à cet argumentaire socioéconomique ? Quels facteurs expliquent le mieux les différences individuelles de réussite scolaire ? Et quel est le poids du statut socioéconomique parental parmi ces facteurs ? 

Notons d’entrée de jeu que le meilleur prédicteur du succès scolaire futur, à court ou moyen terme, c’est, et de très loin, le rendement scolaire actuel ou passé.

Cela confirme que la réussite scolaire est l’un des phénomènes temporellement les plus stables en éducation. Quelles que soient les raisons, il n’est pas facile de transformer des élèves moins performants en élèves performants, car les performants ne donneront pas aisément leur place. Mais ce rôle de meilleur prédicteur ne fait pas du rendement scolaire passé ou présent une cause du rendement scolaire futur ; il reflète tout simplement la fiabilité de ces mesures d’une année à l’autre. Ce sont les causes du rendement scolaire passé ou actuel qui, par leur action continue au fil des ans, assurent la stabilité du rendement scolaire futur. Et quelles sont-elles ? 

Les causes de la réussite scolaire ne manquent pas, comme en fait foi la riche littérature scientifique sur le sujet : traits de personnalité (curiosité, équilibre émotif, anxiété), motivation scolaire générale, attrait spécifique pour certaines matières, aspirations scolaires, aspirations professionnelles, contrôle de soi, engagement en temps et en énergie dans ses études, niveau d’attention et de concentration, persévérance devant les obstacles, résilience face aux échecs, qualité du programme, qualité de l’enseignement, valorisation familiale des études, soutien parental actif surtout au primaire, influence du noyau de pairs, statut socioéconomique des parents, politiques éducatives locales, et j’en passe, par exemple les variables mises de l’avant par le projet en cours de laboratoire-école (architecture scolaire, nutrition, exercice physique). Toutes et chacune de ces sources d’influence ont un rôle à jouer, un rôle différent d’un enfant à l’autre et d’une phase développementale à l’autre. 

La cause dont-il-ne-faut-surtout-pas-parler

Relisez bien cette liste, car j’ai volontairement omis LE facteur que la science reconnaît sans contredit comme la cause principale des différences individuelles de réussite scolaire, et partant d’un cheminement scolaire plus court ou plus long. Il s’agit bien sûr des aptitudes intellectuelles. En effet, des milliers d’études depuis au moins un siècle ont confirmé que l’intelligence, mesurée par le QI, surpasse toutes les autres variables mentionnées ci-dessus lorsqu’il s’agit d’expliquer les différences individuelles de rendement scolaire au primaire et au secondaire. Cela n’empêche pas les autres causes d’exercer leur action ; mais leur influence causale est nettement plus modeste, même lorsqu’on en combine plusieurs. 

Pourtant, où en parle-t-on ?

Je n’arrive pas à me souvenir d’un document public, incluant ceux du Conseil supérieur de l’éducation, où l’on ait reconnu le rôle primordial des aptitudes intellectuelles parmi les causes de réussite scolaire.

Elle représente à mes yeux la variable Voldemort de cette analyse, celle dont-il-ne-faut-surtout-pas-parler ! Et pourquoi ? Je soupçonne fortement que c’est surtout parce que les aptitudes intellectuelles ont ce « terrible défaut » d’avoir des racines biologiques et héréditaires importantes, ce qui rend plus difficiles et limitées les interventions visant à les accroître. Et faute de les accroître, l’apprentissage s’en ressent. Eh oui, que ça nous plaise ou non, la nature est injuste ! 

Ces différences d’aptitudes intellectuelles ont pour impact immédiat de moduler le rythme d’apprentissage, en l’accélérant ou en le ralentissant. Et ces rythmes différentiels ont des effets cumulatifs : plus les années passent, plus se creuse l’écart entre les élèves les plus performants et les moins performants. Voilà une explication parallèle des progrès scolaires qui mériterait d’être mieux reconnue, car elle a un impact crucial sur le cheminement scolaire à long terme. Autrement dit, nos élèves n’ont pas tous les aptitudes nécessaires pour accéder au troisième cycle, à moins bien sûr de poursuivre (sic) le nivellement par le bas ; plusieurs d’entre eux/elles (surtout « eux » !) peinent même à terminer leurs études secondaires ; d’autres enfin ne réussiront jamais à maîtriser les compétences associées au programme du primaire. 

Il y aurait tellement plus à dire. Mais, dans ce cadre limité, j’ai choisi d’aller à l’essentiel, en rappelant que le pouvoir causal des aptitudes intellectuelles dépasse de beaucoup celui du statut socioéconomique parental, lequel pourtant règne au cœur du discours le plus populaire sur la réussite scolaire.

Réponse de Paul Journet

Il est vrai que mon éditorial ne parlait pas des aptitudes des enfants, et je remercie M. Gagné d’apporter cette contribution au débat. Toutefois, pour être clair, mon texte n’affirmait pas que le réseau scolaire à trois vitesses était la cause des inégalités. Je notais plutôt que cette structure entretenait les inégalités déjà existantes. En outre, comme le souligne avec bienveillance M. Gagné, l’éditorial rapportait que d’autres facteurs sont associés à la fréquentation de l’université, comme le revenu et la scolarité des parents. Les parents aussi ont une responsabilité.

Je ne veux pas parler au nom des chercheurs cités dans mon texte. Pour nos lecteurs intéressés par la version complète de leur étude, le lien est inclus dans mon éditorial. 

— Paul Journet

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