À suivre la plupart des analystes et observateurs politiques, le plus vraisemblable pour le 6 mai sera la victoire de François Hollande. La conviction en est si grande que déjà le quotidien Le Monde (15-16 avril) s'intéresse à la composition des ministères que le nouveau président devrait installer, et décrit le «bal des prétendants» qui se voient déjà occuper de hautes fonctions.

Mais projetons-nous un peu plus loin, et en retenant l'hypothèse d'une élection de François Hollande, tentons d'imaginer la suite de manière réaliste.

Le système français prévoit des élections législatives immédiatement après la présidentielle, et tout donne à penser que cohérence aidant, les électeurs installeront une majorité de gauche à la Chambre des députés. Le nouveau président disposera alors du soutien des institutions politiques les plus importantes de la République, qu'il s'agisse du Sénat, de la quasi-totalité des régions, de nombreux départements et communes.

François Hollande ne connaîtra pas les difficultés d'un Obama face au Sénat américain. Mais il n'aura pas pour autant le bénéfice traditionnel d'un long état de grâce: il lui faudra en effet d'emblée prendre d'impopulaires mesures de rigueur.

À droite, toujours dans cette perspective, il faut s'attendre à de vives tensions. Car si Marine Le Pen obtient un résultat relativement élevé au premier tour, le 22 avril, elle sera en position de force pour peser dans les législatives. Dans le contexte pour elle déjà nécessairement délétère d'une défaite de Nicolas Sarkozy le 6 mai, la droite classique sera alors déchirée: il lui faudra ou bien, pour sauver des sièges de députés, faire alliance avec le FN, ou bien perdre ces mêmes sièges pour préserver la morale.

Et à gauche, le résultat là aussi relativement élevé qui s'annonce pour Jean-Luc Mélenchon contribuera à dessiner un nouveau paysage. Le Parti socialiste, en effet, devra composer avec cette gauche de gauche et le Parti communiste qui la structure. Il y aura deux orientations principales présentes à la Chambre des députés, l'une insurrectionnelle ou en tous cas radicale, anti-européenne, l'autre raisonnable, bonne gestionnaire, européenne. Et en même temps, cette conjugaison contradictoire de deux gauches laisse apparaître un creux, un manque.

C'est d'abord qu'elle entérine l'échec de la candidate des Verts, Eva Joly. Des accords pour les législatives avaient été signés il y a quelques mois entre le PS et les Verts, au moment où ceux-ci se présentaient comme une force politique importante; mais à 2 ou 3% de suffrages obtenus par Eva Joly, et non 12 à 15% comme dans les élections précédentes, la situation devient défavorable pour l'écologie politique et ses valeurs, auxquelles en particulier s'oppose la gauche de la gauche, pro-nucléaire, soucieuse du développement des forces productives et de la croissance avant tout.

De plus, au-delà du risque de laminage des orientations écologistes, la campagne n'a pas ouvert d'espace à des réflexions sérieuses, à gauche, à propos de nombreux thèmes culturels ou sociétaux: comment penser la nation française et l'articuler à une conception claire de l'Europe à construire? Quelles clarifications constructives apporter s'il s'agit de l'islam, de l'immigration, de la diversité? La droite et l'extrême droite ont radicalisé le débat sur de tels enjeux la gauche raisonnable est restée prudente, quasi silencieuse, et on voit mal comment le Parlement pourrait s'y ouvrir en profondeur dans les mois à venir.

Ainsi, la France risque de se retrouver avec une droite affaiblie et une gauche sous tension, entre la radicalité de vieilles aspirations révolutionnaires et le modernisme de gestionnaires prudents, sans ouverture pour des orientations novatrices culturellement, sans désir de mettre en discussion des thématiques pourtant importantes.

La crise financière et économique est là, elle n'aide décidément pas le pays à se projeter vers l'avenir autrement que sur un mode défensif.

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