En novembre 2013, l'émission Enquête a révélé quelques histoires d'horreur de parents soupçonnés à tort par des médecins de la clinique sociojuridique de l'hôpital Sainte-Justine d'avoir maltraité leurs enfants. Ces récits faisaient frémir d'effroi et donnaient l'envie d'enfermer nos rejetons dans une boule de ouate jusqu'à leur majorité.

Il appert que cette réalité des soupçons de maltraitance non fondés n'est pas l'apanage exclusif des parents et que des cauchemars semblables sont aussi vécus dans l'univers des services de garde. En ces temps d'austérité et de réformes tous azimuts, on semble avancer avec des oeillères en choisissant nos batailles par souci de préservation, faisant au passage abstraction de situations troublantes.

Une proportion importante d'éducatrices dans le milieu de la petite enfance, particulièrement dans la grande région de Montréal, provient de vagues d'immigration de différents pays de la francophonie. Hautement scolarisées et détentrices de diplômes d'études supérieures, certaines de ces femmes pratiquent comme médecins, ingénieures ou scientifiques dans leur pays d'origine. Leurs compétences n'étant pas reconnues au Québec, elles se tournent vers des emplois alternatifs pour gagner leur vie, notamment en exploitant des services de garde en milieu familial.

Au Québec, il existe une forme de partenariat entre le Ministère de la Famille et la DPJ, qui est parfois appelée à intervenir dans les services de garde à la suite de plaintes faisant état d'un danger potentiel pour un enfant. Dans le cas d'un service de garde en milieu familial, l'éducatrice verra alors son permis suspendu sur-le-champ et les enfants dont elle a la garde lui seront retirés. Selon les statistiques de 2011, 89 plaintes nécessitant l'intervention de la DPJ ont été déposées au cours de cette année. De ce nombre, 28 ont été jugées fondées, dont 22 en milieu familial, cinq en garderie et une en CPE. C'est donc dire qu'au final, environ le tiers des signalements s'est révélé fondé. Qu'en est-il de l'autre deux tiers, se rapportant à des plaintes non fondées ?

POUR UN TRAITEMENT ÉQUITABLE

Le président de l'Association des garderies privées du Québec, Sylvain Lévesque, soulignait, en 2012, que « ce n'est pas facile » pour les éducatrices visées, un constat qui s'impose plutôt comme un euphémisme. Car un beau matin, ces éducatrices auront vu un représentant de leur CPE affilié débarquer chez elles avec une lettre recommandée, dont tous les parents auront reçu copie, les informant que leur permis est suspendu et que leur service de garde est immédiatement fermé. 

Elles auront peu, voire pas d'information sur les origines de la plainte - un parent insatisfait, un médecin zélé, un voisin incommodé -, et elles verront l'enquête s'étirer sur plusieurs semaines, sinon des mois.

Pendant ce temps, elles seront évidemment sans salaire et les familles, bien que sympathiques à leur cause, auront trouvé des solutions de garde alternatives. Advenant le rejet de la plainte, elles devront, du reste, repartir à zéro. C'est donc ici que le bât blesse. Parce que ces enquêtes, bien que légitimes, avancent littéralement à pas de tortue, empêtrées dans les dédales légaux, bureaucratiques et administratifs, pendant que tous se renvoient la balle et que les principaux intéressés sont tenus dans l'ignorance.

Partout au Québec, on proclame la primauté des droits de l'enfant ; dans nos lois, nos règlements, nos politiques. C'est très bien ainsi et il ne devrait surtout pas en être autrement puisque collectivement, nous échouons souvent à respecter ces principes de base. En matière de protection de l'enfant, il vaut mieux soupçonner un innocent que de laisser courir un coupable, soulignait un médecin dans le reportage d'Enquête

Ceci dit, il faudrait aussi agir de façon responsable envers les éducatrices qui prennent soin de nos enfants et leur garantir un traitement prompt et équitable des plaintes auxquelles elles sont confrontées. Sécurité et prudence ne sont certainement pas incompatibles avec efficacité et diligence.

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