Jouant les grands explorateurs chez leurs grands-parents pendant la période des Fêtes, mes enfants ont mis la main sur un vieux téléphone à roulette, sur mon baladeur à cassette jaune moutarde avec lequel j'écoutais la musique de Bon Jovi à tue-tête, avec mes cheveux gaufrés et mes chandails fluo, et sur le tourne-disque ayant égratigné les 45 tours de Fernand Gignac, Ginette Reno et Nana Mouskouri.

Complètement mystifiés, mes marsouins regardaient avec des yeux curieux et intrigués ces objets venus d'une autre époque. Avec la sagesse de ceux qui ont vu neiger, les grands-parents ont souligné que l'être humain arrive toujours à s'adapter à l'univers qui est le sien. Celui de mes enfants est meublé du iPad, du iPod, du iPhone et autres bidules électroniques dont l'apparition sur Terre remonte au temps de Cro-Magnon, si l'on en croit mes rejetons.

J'ai repensé à cette petite tranche de vie devant les tragiques événements survenus à Paris la semaine dernière, en me demandant si, au même titre que les appareils de communication et de divertissement modernes, les actes de terrorisme et les tueries de masse n'ont pas, pour les générations montantes, un certain caractère de normalité; des tragédies incontournables, les fruits de violence fondamentaliste et de radicalisation religieuse sur lesquels personne ne détient contrôle ni pouvoir et devant lesquels il faut simplement se résigner.

Il faut admettre que ces actes de violence inouïe sont partout, tout le temps, alors que les médias sociaux et les nouvelles en continu nous les servent en boucle 24 heures par jour. Que ce soit les barbaries commises par les disciples de l'État islamique, les massacres d'enfants en Syrie, les tueries de masse aux États-Unis, les histoires d'horreur se multiplient et affluent de partout. Même à proximité de nous, deux événements marquants, à Ottawa et Saint-Jean, sont survenus l'automne dernier et ont détruit la fragile et utopique illusion que nous étions à l'abri. Les enfants ont vu les images tournées au parlement et entendu les coups de feu et les cris apeurés des gens qui fuyaient les lieux.

Que dire?

Certes, comme parents, on tente d'encadrer et de limiter leur exposition à ce trop-plein d'effroi, mais arrive tôt ou tard le jour où les enfants s'extraient légitimement de cette bulle aseptisée. Et ce jour venu, on leur dit quoi? Évidemment, on répond à leurs questions et on leur explique dans un langage simple, clair et adapté les événements, tout en restant franc et honnête quant à la gravité et à la signification des gestes posés. Mais surtout, surtout, on leur enseigne qu'on ne doit jamais s'imperméabiliser à l'horreur, reconnaître une inévitabilité à ces tragédies et céder à la peur et aux menaces.

Il s'agit pourtant d'un exercice difficile puisqu'ils sont encore tout à la candeur et à l'innocence de l'enfance, le coeur et l'esprit encore vierges, remplis d'ouverture à l'égard de l'autre, enclins au partage des coutumes, des valeurs et des traditions qui habitent l'univers diversifié dans lequel ils sont nés. Si cette authenticité doit être préservée, nous ne devons jamais permettre, en revanche, que nos enfants vivent dans la peur, qu'ils se taisent par peur de représailles et s'isolent dans l'indifférence et l'impuissance. Ils doivent se tenir debout, avoir le courage de défendre leurs opinions et de dénoncer l'inacceptable.

À travers l'évolution des civilisations, l'être humain a su s'adapter, par survie ou résilience, à la modernisation et à l'apparition de nouveaux phénomènes sociaux. En ces temps troubles, toutefois, l'adaptation doit céder sa place à une puissante indignation collective. Et cette faculté de s'indigner, nous avons aujourd'hui le devoir de la transmettre à nos enfants.

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