A beau mentir qui vient de loin, dit-on. Cette expression, dont l'origine remonte à plusieurs siècles, moque les explorateurs européens racontant leurs aventures en terres lointaines. Avec l'affaire François Bugingo, elle frappe de plein fouet les médias et s'applique particulièrement à l'information internationale.

L'enquête publiée par La Presse depuis samedi sur les reportages inventés du journaliste François Bugingo est courageuse et documentée. Elle révèle des faits troublants et lève le voile sur certaines pratiques journalistiques. Elle n'efface pas pour autant le talent de cet homme qu'ont pu apprécier ceux qui ont lu, par exemple, son premier ouvrage, Africa Mae, publié en 1997.

Loin de moi l'idée de défendre François Bugingo. Il est devant sa conscience et devra s'expliquer. Il s'y prépare. Nous attendons tous avec impatience sa version des faits.

PAS SURPRENANT

Il y a un côté obscur, une part cachée et donc invérifiable, de l'information internationale qu'on ne retrouve que rarement dans l'information locale ou nationale. Le premier ministre du Québec, Philippe Couillard, y a indirectement fait allusion en réagissant à l'enquête de La Presse. Il a trouvé « surprenant que, dans un réseau médiatique sérieux, on puisse apparemment - car il faut que ce soit démontré - monter de toutes pièces des reportages et des histoires sur l'actualité internationale ». Eh bien, monsieur le premier ministre, je participe à l'information internationale - comme journaliste, puis commentateur et chercheur - depuis plus de 30 ans, et je ne trouve pas cela surprenant.

L'information repose sur les faits, mais aussi sur la confiance en ceux censés rapporter ces faits avec justesse et professionnalisme. La manipulation de l'information locale et nationale est généralement facile à découvrir. Les acteurs sont sur place et peuvent être rapidement contactés. Un ensemble de références et de codes sociaux et culturels nous permet, souvent, de distinguer le vrai du faux même si, comme l'illustrent certains scandales dans la presse américaine, quelques fraudeurs passent à travers les mailles des filets rédactionnels.

Si la proximité induit la prudence et la rigueur, la distance soumet la vigilance à rude épreuve. L'information internationale subit cette loi. Les repères se brouillent, la vérification des faits s'avère difficile, la culture et le savoir résistent devant ce qui est étranger. Trop souvent, il s'écrit n'importe quoi. J'ai à l'esprit un exemple qui nous touche de près.

Dans sa livraison de janvier 1998, Le Monde diplomatique publiait un long article sur la situation politique du Canada. L'auteur brossait un tableau de nos « chicanes juridiques et constitutionnelles » et présentait un plan simple, en « quatre phases, s'étalant sur deux ans », pour réinventer le Canada. Il écrivait que « le Canada n'a pas de constitution » et qu'il ne disposait pas « d'authentiques acteurs de son unité ». Ainsi, selon l'auteur, le Canada « n'a pas de média qui couvre son territoire ». Vous avez bien lu. Et je vous épargne la recette de l'auteur pour sauver le pauvre Canada.

Ce brouet de faussetés et de stupidités avait provoqué une belle indignation au Québec sans pour autant susciter la moindre excuse de la part de l'auteur. À l'époque où j'enseignais le journalisme à l'UQAM et à l'Université de Montréal, j'utilisais cet article pour inviter mes étudiants à lire d'un oeil prudent et critique ce qui s'écrivait sur un pays ou sur une question internationale.

L'affaire Bugingo illustre une réalité : l'information internationale reste l'enfant pauvre des médias québécois. Elle vit une double misère, financière et intellectuelle. À tort ou à raison, la priorité est accordée à d'autres secteurs. Les équipes à l'international - lorsqu'elles existent - restent minuscules et ne peuvent couvrir tout le champ de l'actualité et valider le flot toujours grossissant des informations. Dès lors, l'occasion fait le larron et le scandale éclate si on se donne la peine de le débusquer.

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