Il y a six ans, en mars 2009, la nouvelle secrétaire d'État Hillary Clinton avait offert à son homologue russe, Sergei Lavrov, un bouton rouge où était écrit en russe le mot relance, ou « reset » en anglais. L'administration Obama voulait ainsi tourner la page sur la présidence Bush, qui avait vu une dégradation des relations avec Moscou.

Mardi, à Sotchi, c'était au tour de Lavrov d'offrir un cadeau, un assortiment de tomates, à John Kerry à l'occasion de la première visite du secrétaire d'État américain en sol russe depuis deux ans. Il est facile de voir dans le geste du ministre russe un brin de moquerie si on oublie que Kerry a déjà offert à Lavrov des patates de l'Idaho.

Le redémarrage tant souhaité par Clinton a échoué. Il s'est enrayé avant même la crise ukrainienne de 2014, victime d'un enchaînement d'événements au cours des vingt dernières années et d'incompréhensions réelles ou feintes. Depuis deux ou trois ans, il ne se passe pas une semaine sans qu'à Washington comme à Moscou on trouve matière à noircir l'autre.

Ainsi, de Barack Obama au plus obscur des sénateurs républicains, chaque discours consacré aux menaces auxquelles les États-Unis sont confrontés place la Russie dans le même sac que l'Ebola et l'État islamique.

Vladimir Poutine frappe tout aussi fort. Dans un documentaire diffusé à la télévision il y a deux semaines à l'occasion de ses quinze ans au pouvoir, il a cru bon de rappeler qu'au début des années 2000, « les services spéciaux russes ont observé des contacts directs » entre des rebelles du Caucase du Nord (Tchétchénie) et des représentants des services secrets américains en Azerbaïdjan. Le président russe accusait ainsi certains services secrets occidentaux d'avoir voulu déstabiliser son pays.

Poutine n'a pas accepté la mort de l'Union soviétique. 

Il est obsédé par le déclin et la chute, d'où sa rage de reconstruire à marche forcée la puissance de la Russie et de lui redonner une place centrale sur la scène internationale. Pour ce faire, il trouve son inspiration dans le conservatisme, celui qui veut préserver les valeurs, la langue et la société russes. Le sens de ce conservatisme, disait-il devant le Parlement en 2013, « n'est pas d'empêcher le mouvement vers l'avant et vers le haut, mais d'empêcher le mouvement vers l'arrière et vers le bas, vers l'obscurité du chaos, le retour à la situation initiale ». Pour lui, l'Occident cherche à faire régresser la Russie.

MAINTENIR LES LIGNES OUVERTES

C'est donc dans cette atmosphère chargée que Kerry s'est entretenu pendant quelque huit heures à Sotchi avec Lavrov, puis Poutine. La longueur de ces entretiens montre bien que les deux grandes puissances ont tout intérêt à maintenir entre elles « des lignes de communication ouvertes », pour reprendre l'expression de Kerry, afin de coopérer sur une foule de sujets. Et les sujets chauds ne manquent pas, à commencer par le programme nucléaire iranien, qui doit faire l'objet d'un accord définitif entre les parties d'ici le 30 juin.

En poursuivant leur guerre des nerfs, la Russie et les États-Unis tentent de jouer une coalition contre une autre comme pendant la guerre froide. Cette stratégie ne fonctionne plus. Samedi, à Moscou, à l'occasion du 70e anniversaire de la victoire sur les nazis, Poutine n'était pas isolé. Il était entouré du président de la première puissance économique du monde, la Chine, et du président de la plus populeuse démocratie du monde, l'Inde. De leur côté, les Américains et leurs alliés traditionnels occidentaux ont fait bloc et boycotté la cérémonie en signe de solidarité avec l'Ukraine.

Pourtant, rien n'est acquis ni pour l'un ni pour l'autre, dans un monde caractérisé par la fluidité des rapports et où chaque pays, libéré des tutelles idéologiques, mène son jeu à sa façon. Il est grand temps pour Moscou et Washington de restaurer leur relation.

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