Dans les années trente, en Amérique centrale, les États-Unis faisaient et défaisaient les gouvernements qui ne leur plaisaient pas. À leur place, ils installaient des dictatures dont la particularité était de procéder aux massacres des oppositions, légales ou rebelles. À Washington, il y avait même une expression qui désignait le dictateur en place: «c'est sans doute un salaud, mais c'est notre salaud».

Aujourd'hui, l'Histoire se répète. Les Russes ont leurs salauds, en Biélorussie. Et en Syrie, avec Bachar al-Assad, quoique celui-ci était fort utile aux Américains à l'époque de la guerre au terrorisme, alors qu'il ouvrait ses salles de tortures, comme en a fait l'expérience le Canadien Maher Arar. Son travail terminé et le souffle du printemps arabe balayant la Syrie, il est soudainement devenu infréquentable.

Les Égyptiens aussi viennent d'hériter d'un nouveau dictateur en la personne du général Abdel Fatah al-Sissi. Sa marche vers le pouvoir a fait l'objet d'une légende sans cesse enjolivée par une nuée de relationnistes aux ordres, de journalistes et d'intellectuels serviles, et d'alliés occidentaux tout heureux qu'il se soit débarrassé d'un gouvernement islamiste. Ses qualités sont montées en épingle, ses crimes minorés. Nous ne sommes plus dans les années trente, et il se doit d'être présentable.

Illustre inconnu en 2012, c'est sa victime, le seul président démocratiquement élu d'Égypte, Mohamed Morsi, qui le sort du rang afin de le nommer chef des armées. Morsi croit au légalisme d'al-Sissi. Bien en selle, le général ne perd pas de temps. Il commence à planifier le renversement de Morsi dès le début 2013. Il est vrai que le président islamiste commet erreur sur erreur et s'aliène une partie de la classe politique et des élites libérales.

En juin et juillet 2013, des manifestations réclament le départ de Morsi. Au plus fort de la crise, quelqu'un quelque part - l'armée égyptienne - , annonce qu'environ 18 millions de personnes manifestent dans la rue pour réclamer le renvoi d'un président. Personne ne les a comptées, mais cette manipulation grossière, cet enfumage classique des services de renseignements, a été cru et voulait être cru par les dirigeants et intellectuels occidentaux en Europe et au Canada. Al-Sissi est appelé en «sauveur» de la nation et prend le pouvoir.

Le général peut maintenant gouverner. Et son côté noir se révèle. Les 8 juillet et 13 août 2013, l'armée et des tireurs embusqués massacrent comme des animaux, dans le centre du Caire, plus de 1000 hommes, femmes et enfants dont le seul crime est de manifester pour le rétablissement du président élu. Les Occidentaux versent des larmes de crocodile. Personne, et surtout pas Stephen Harper et John Baird, ne se rend au Caire pour déposer des fleurs sur les lieux des massacres, comme les dirigeants canadiens le firent à Kiev, en Ukraine, quelques mois plus tard. Comme quoi la vie d'un Égyptien, islamiste de surcroît, n'a pas la même valeur que celle d'un Ukrainien.

Le général al-Sissi comprend parfaitement le signal. Il est classé «bon dictateur» par l'Occident et il va donc s'en donner à coeur joie. Il trafique une nouvelle Constitution, arrange des élections présidentielles «saluées» par l'Union européenne et se fait élire avec 96% des voix, mieux que son collègue et ami al-Assad en Syrie, qui n'a obtenu que 85%. Les cimetières et les prisons ne désemplissent pas: on parle de 2500 morts et 15 000 arrestations. Islamistes, libéraux, journalistes sont quotidiennement harassés. Mille personnes condamnées à mort.

Le directeur de l'hebdomadaire Jeune Afrique, Béchir Ben Yahmed, connaît bien l'Égypte. Il écrivait récemment qu'elle a été gouvernée depuis 1952 par trois généraux: Nasser, Sadate et Moubarak. «Chacun de ces militaires a commencé en fanfare, a fait illusion pendant quelques années, puis a mal fini.» Al-Sissi, les mains tachées de sang, appuyé par l'Occident, va-t-il finir pareillement?

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