Je suis de ceux qui se réjouissent de l'ouverture du Canada aux réfugiés syriens, car c'est une noble initiative que de donner une deuxième chance à tous ces gens qui semblent passer du purgatoire au paradis. Ceci dit, je trouve aussi que la récupération politique dont fait l'objet ce mouvement migratoire devient presque impudique. Elle provoque même chez une partie de la population un sentiment d'incompréhension.

Toutes ces cérémonies de « souvenez-vous des couleurs de ceux qui vous ont ouvert la porte » sont-elles vraiment nécessaires ? Ce besoin calculé de se faire du capital politique déguisé en cadeaux et autres facilités risque malheureusement de laisser une impression qu'il existe dans ce pays une ouverture à deux vitesses.

Toute cette attention médiatique orchestrée et ces discours qui ne parlent que d'ouverture et de générosité et qui laissent faussement croire que le Canada est une nation ouverte à tous les damnés de la Terre sont un peu exagérés. Il ne faut pas oublier qu'avant cette annonce d'accueillir 25 000 réfugiés, il y a eu une surenchère entre le Parti libéral du Canada (PLC) et le Nouveau Parti démocratique (NPD) pendant une campagne électorale. Et avant que ce concours électoral de générosité ne culmine, il y a eu des images d'un jeune garçon nommé Aylan Kurdi dont la scène de noyade a bouleversé la planète entière.

La décision d'ouvrir le Canada aux réfugiés syriens est donc avant tout politique et la présenter comme un simple geste de générosité est un peu tendancieux. Si l'humanitaire et le souci des vulnérables étaient la seule motivation dans cette histoire, pourquoi n'a-t-on pas pensé prendre 15 000 Syriens et 10 000 Africains parmi ceux qui s'entassent depuis plus de deux décennies et dans des conditions beaucoup plus précaires à Dadaab, au nord-est du Kenya ?

Des histoires dramatiques semblables à celle du petit Aylan Kurdi se passent régulièrement à l'abri des caméras dans ce qui est le plus gros camp de réfugiés du monde.

Qui a entendu parler de ce papa somalien qui a transporté le cadavre de sa petite fille pendant plus de trois jours dans un sac en plastique, juste pour avoir le réconfort de l'enterrer dans un territoire de paix ? Ce monsieur, qui depuis trois ans a arrêté de parler, s'est vidé de son essence vitale et attend d'être enterré à côté de sa fille. Ces gens fuient aussi les violentes exactions des shébab, qui sont des terroristes aussi barbares que le groupe armé État islamique.

Il se peut aussi que mon sentiment soit exacerbé par le fait que ces réfugiés ressemblent beaucoup plus à mes parents que j'ai serrés dans mes bras, il y a deux semaines au Sénégal. C'est très humain. Sinon, comment expliquer que depuis trois décennies, des milliers de migrants subsahariens, incluant des enfants, crèvent dans la Méditerranée sans qu'aucun pays européen ne trouve autre chose que des camps-prisons pour souhaiter la bienvenue à la grande majorité des rescapés ?

Un jour, un ami rwandais m'a dit : « Connais-tu la différence entre toi et moi ? Toi, tu es un immigrant et moi, je suis un réfugié, et un réfugié ne magasine pas de pays, il cherche une destination. N'importe quelle destination qui peut l'éloigner de sa dramatique réalité est une bénédiction et un cadeau du ciel. Tout ce qui vient après, c'est un surplus. »

Fort de son enseignement, je crois qu'ouvrir généreusement les frontières du Canada à 25 000 personnes est ici le seul et véritable cadeau, et les sourires à la sortie des avions en disent long sur la gratitude profonde de ces gens envers leur pays d'accueil. Après, pourquoi ne pas laisser toute la place et les moyens aux groupes sociocommunautaires d'accueil et d'intégration qui seront les seuls à rester à leur côté lorsqu'ils seront confrontés à la dure réalité, à l'abri des caméras ?

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