Pendant très longtemps, l'humain s'est senti comme une espèce à part dans le règne animal. En fait, étant l'inventeur de cette science majeure qui s'appelle l'évolution, il n'a pas hésité à se placer au sommet de la pyramide pour mieux regarder de haut ses plus proches rivaux.

Pourtant, bien des scientifiques s'entendent maintenant pour reconnaître la grande proximité entre les grands singes et nous. Plusieurs comportements qu'on croyait spécifiques à l'humanité sont aujourd'hui retrouvés chez les chimpanzés, avec lesquels nous partageons près de 99 % de notre patrimoine génétique.

Les chimpanzés troquent de la viande contre du sexe, ont le sens de l'humour, pratiquent l'adoption, ont développé une médecine, fabriquent des outils et transmettent leur culture à leur descendance.

Dans ces luttes pour le pouvoir que nous appelons la politique, leur proximité parentale avec nous est tout aussi incontestable. Le paléoanthropologue français Pascal Picq a écrit un bouquin formidable qui s'intitule L'homme est-il un grand singe politique ? Un ouvrage qui rapporte sans équivoque que nos cousins chimpanzés ont une habileté et des façons de faire de la politique qui se rapprochent de celles des humains.

Ils vivent dans des communautés de 12 à quelques dizaines, dans la forêt tropicale d'Afrique. Dans chaque communauté, on retrouve un mâle dominant. Une sorte de premier ministre, qui a gagné ses élections après une campagne électorale où la stratégie, les récompenses, la mesquinerie et les alliances sont tout aussi bien huilées.

D'après Pascal Picq, une campagne électorale commence toujours par une pratique d'épouillage.

Quand un chimpanzé mâle veut accéder au poste suprême, le premier travail qu'il doit faire est de s'assurer du soutien des femelles.

Rassurez-vous, il ne se fait pas photographier avec des bébés dans les bras. Il y arrive en les épouillant amicalement, en acceptant de partager de la nourriture avec elles ou, si nécessaire, en les intimidant physiquement.

Une fois les femelles conquises, il applique la même recette pour s'attirer la faveur des autres mâles satellites sans éveiller les soupçons du grand boss, qui ne se doute pas qu'il va bientôt déclencher des élections.

Ce mâle dominant doit, selon l'auteur, adopter les attitudes et les comportements inhérents à sa position. Il doit garder une certaine prestance et une position de puissance. Son poil doit être hérissé, ses expressions faciales sous contrôle et ses interventions faites avec assurance. Il doit imposer sa suprématie pour éviter les coups d'État, mais aussi travailler à contenter ses partisans pour prévenir les révoltes. Bref, il a une fierté et une retenue présidentielles qui devraient servir de référence à tous nos chefs prêts à tout faire pour gagner des votes.

Une fois que le prétendant au trône a le soutien des femelles et des autres mâles, il passe à l'étape suivante : provoquer, défier et affronter le mâle dominant. Parfois, deux mâles rivaux peuvent aussi former une coalition pour se donner plus de chances de prendre le pouvoir. Mais qui dit alliance, dit aussi récompenses postélectorales. Le primatologue néerlandais Frans de Waal a rapporté dans une étude que les chimpanzés étaient capables de se souvenir des faveurs qu'ils ont reçues et de renvoyer l'ascenseur après leur couronnement.

Ainsi, un mâle qui vient de prendre le pouvoir choisit souvent comme bras droit celui qui l'a aidé pendant sa campagne. Mais, comme en politique humaine, ces alliés d'une occasion peuvent rapidement devenir des ennemis. Il arrive aussi qu'un mâle dominant qui prend de l'âge cède son autorité à un protégé, tout en continuant comme une belle-mère à tirer les ficelles dans les coulisses. Comme quoi nous, les humains, singeons nos cousins chimpanzés.

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