«Haïtibien», c'est ainsi que se nommait parfois Ulrick Chérubin, le maire d'origine haïtienne d'Amos qui nous a quittés le jeudi 25 septembre. L'un des premiers maires de race noire élus au Québec, il dirigeait la ville d'Amos depuis 2002. Il a été réélu trois fois, avec une majorité de 73% aux élections de 2013. Une performance qui témoigne de l'amour que ses concitoyens avaient pour lui.

Il était si profondément Abitibien, disait-il à la blague, qu'il s'est surpris un jour à dire aux Algonquins: «Vous savez, nous autres les Blancs...». Une métamorphose que les Amérindiens avaient probablement attribuée au réchauffement climatique.

Mais au-delà de tous les qualificatifs de droiture et de gentillesse qu'on lui connaissait, Ulrick Chérubin était pour moi un modèle d'enracinement d'un immigrant dans une région bien loin des grands centres; la référence à citer pour vanter les avantages d'une régionalisation de l'immigration.

Lorsque le fameux débat autour de la défunte charte du Parti québécois enflammait les esprits et cristallisait les positions dans les médias, certains chroniqueurs de la métropole n'hésitaient pas à présenter les régions ressources comme des refuges de gens réfractaires à la différence et fermés à l'immigration. Pour cause, les sondages laissaient entrevoir que le soutien au projet de charte de la laïcité était plus fort à l'extérieur des grands centres. Voilà, entendait-on dire parfois, des gens qui craignent la différence sans n'avoir jamais vu d'immigrants.

Pourtant, à ma connaissance, les seuls endroits au Québec où on trouvait à l'époque des villes dirigées par des maires issus de l'immigration visible étaient Amos, en Abitibi, et Mont-Laurier, à l'entrée du parc de La Vérendrye.

L'année passée, je suis allé visiter la défunte ville de Gagnon, sur la route 389, entre Baie-Comeau et Fermont. Arrivé sur le site, où la nature a repris aujourd'hui ses droits sur les anciennes fondations, j'ai appris que lorsque la ville de Gagnon a été fermée en 1985, vaincue par la crise du fer, le maire, qui s'appelait René Coicou, était aussi d'origine haïtienne. Ce qui fait des Haïtiens des immigrants si intégrés au Québec qu'ils aspirent à diriger le Nord.

Même si l'immigration demeure une expérience individuelle, j'ai rencontré en 24 ans suffisamment de néo-Québécois épanouis aux quatre coins du Québec pour oser croire profondément que les gens n'y sont pas moins accueillants qu'à Montréal.

Au contraire, l'apprivoisement mutuel, ou osmose culturelle, est beaucoup plus facile à Rimouski, Trois-Rivières, Sherbrooke, Rouyn-Noranda ou Amos, etc. Si Michel Adrien, maire de Mont-Laurier, et feu Ulrick Chérubin sont devenus des décideurs politiques en région, c'est parce qu'ils y ont été bien accueillis et ont, avec le temps, développé un profond sentiment d'appartenance à leur terroir respectif.

Loin d'être ces lieux de crispation identitaire, les régions sont simplement plus habituées à un modèle d'immigration qui incite à l'intégration mutuelle, beaucoup plus qu'à une simple cohabitation. Autrement dit, là où l'immigration en région tend à favoriser la symbiose interculturelle, celle de Montréal montre de plus en plus des signes de commensalisme. C'est-à-dire une cohabitation de cultures dans l'indifférence mutuelle. La dispersion force à sortir de sa zone de confort et favorise le rapprochement avec l'autre qui ne mange pas la même chose que nous. Au-delà de la langue, elle nous amène à nous trouver d'autres points communs malgré nos apparentes différences.

Le prochain bronzé qui se présentera à une mairie de l'Abitibi y sera probablement accueilli à la hauteur du compétent, honnête, drôle et bon gars qu'était Ulrick. Et ça, ce n'est pas banal.

Salut, mon «Haïtibien» pure laine d'ours noir!

Mes condoléances à toute la famille.

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