Je suis de ceux qui croient que les humains sont génétiquement programmés pour s'émouvoir de la poésie des contes. Toutes les cultures ayant baigné dans l'oralité restent sensibles à ces histoires qui touchent le coeur en passant par l'oreille. Ces fables qui résistent si bien au temps et cachent aussi de pertinentes leçons de vie sociale. Ces sagesses qui faisaient dire à l'un de mes multiples grands-pères africains que les contes n'étaient rien de moins que des histoires d'hier, racontées par les hommes d'aujourd'hui, pour les générations de demain.

Il m'arrive d'ailleurs de penser qu'à l'adolescence, quand les jeunes commencent à se poser des questions existentielles, il faudrait leur rapporter ces histoires qui amènent de concises réponses à leurs questions avant de les initier à la philosophie, qui elle, réfléchit souvent sur des questions sans réponse précise. Mais si je vous fais tout ce plaidoyer sur la pertinence du conte, c'est parce que je voulais vous raconter une histoire à la façon des anciens. Un conte qui s'intitule Le jeune chêne. Une fiction des temps nouveaux, qui commence évidemment par cette formule des temps anciens: «Il était une fois...»

Une vieille dame venait d'installer la grille de métal et le solide tuteur qui devaient réconforter son jeune chêne pendant la longue traversée de la saison froide. Un compagnonnage indispensable pour prémunir l'arbre contre les surprises climatiques, parfois impitoyables avec la flore, sans distinction d'espèce ou de genre. Elle se préparait à souhaiter une paisible hibernation à son protégé quand sa petite fille, intriguée, lui demanda pourquoi elle avait encore besoin de veiller sur ce jeune plant. Un arbre qui, à ses yeux, était suffisamment grand pour résister tout seul aux intempéries hivernales.

Pour lui servir une leçon à la façon des anciens, la grand-mère lui répondit: «Je ne protège pas cet arbre seulement de la neige qui tombe du ciel, je le renforce pour qu'il puisse résister à celle qui, à haute vitesse, lui arrive à la faveur du vent ou des souffleuses. Je le consolide aussi pour résister aux autres aléas du climat global, de plus en plus imprévisible, même sous nos hivers. En fait, je le protège contre tous ces gens qui ne savent pas ou ont la mémoire trop courte pour se souvenir de l'ampleur du travail et de l'énergie investie pour faire pousser chaque petit centimètre de ses ramures et radicelles.

«Tu vois Julie, poursuit la grand-mère, cette bataille pour l'égalité entre les hommes et les femmes, que toi et bien des jeunes filles de ta génération trouvez désuète et dépassée, est à l'image de ce végétal. Le jour où cette parité des sexes sera une valeur planétaire, les femmes pourront, comme tu le souhaites, enterrer la hache de guerre et se parer de couronnes de laurier. Mais en attendant cette date hypothétique, il faut rester alerte, car cet arbre de l'égalité des genres, que nous avons planté il a quelques décennies, est exactement à l'image de ce jeune chêne. Sa partie visible semble bien épanouie, mais ses racines ne sont pas aussi profondes que certains le pensent. Et il est bien connu, ma petite, que les arbres qui ont moins de racines que de branches sont souvent à la merci de ces grands vents qu'on croyait disparus, mais que l'intégrisme religieux ravive partout sur la planète.»

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