En ce début de campagne électorale, mais aussi en cette journée consacrée à la femme, je voudrais dans ces lignes faire d'une pierre deux coups.

Alors qu'il est nommé député au Parlement britannique en 1869, un philosophe nommé John Stuart Mill décide de s'insurger contre la déplorable condition féminine en vigueur dans son pays. Il choisit alors les arguments économiques pour convaincre ses concitoyens qu'on ne peut pas développer un pays à son plein potentiel quand la moitié de la population y est privée de ses droits et condamnée à une forme d'esclavage.

Son bouquin, De l'assujettissement des femmes, coécrit avec sa femme, Harriet Taylor, marque selon plusieurs le début de cette grande lutte pour l'égalité des sexes. En plus de libérer les femmes de tutelle dont elles ont toujours été victimes, cette émancipation a aussi contribué à pacifier l'exercice électoral démocratique.

Au Québec, avant le dénouement de la longue croisade des suffragettes sous Joseph-Adélard Godbout, en 1940, les campagnes électorales connaissaient leur lot d'intimidation et de violence verbale et physique. Il n'était pas rare que les partis engagent des gros bras pour aller casser des jambes ou intimider les activistes d'une formation adverse.

À cette époque, où une femme qui mariait un homme épousait aussi ses allégeances, l'arène politique était copiée sur les équipes de hockey, et l'expression ostensible de la testostérone bien valorisée. L'homosexualité est encore taboue dans le monde du hockey et je suis certain que si les femmes n'avaient pas obtenu le droit de vote, la politique n'aurait pas plus évolué.

Le vote accordé à des femmes qui avaient une certaine aversion pour la violence a catalysé progressivement une autre façon de faire. Pour s'attirer la faveur de ce nouvel électorat, les politiciens ont baissé leur niveau de testostérone et misé progressivement sur des valeurs associées surtout à l'ocytocine, que les biologistes qualifient d'hormone de la famille, de l'attachement et de l'altruisme. En campagne de séduction électorale, ils servent des repas à des démunis, se montrent en compagnie de leur famille et parlent de leur recette de sauce à spaghetti.

Conscients du pouvoir de la drôlerie sur les femmes, ils n'hésitent pas non plus à se mettre en danger dans des émissions humoristiques, avec des blagues qui ne sont pas souvent drôles. J'essaye chaque jour de chasser de ma tête cette image traumatisante de Bob Rae se jetant tout nu dans un lac avec Rick Mercer! «Si le pouvoir poussait au sommet des arbres, disait mon grand-père, certains politiciens n'hésiteraient pas à épouser des singes.»

Mais de toutes les tentatives d'humanisation de la politique induites par le vote féminin, celle qui me dérange le plus, c'est cette nécessité absolue qu'ont les chefs de se faire filmer avec un bébé dans les bras. Une façon de dire, surtout aux femmes, qu'ils ne sont pas que des mâles dominants qui cherchent à écraser ceux qui ont moins de testostérone qu'eux, mais qu'ils sont aussi des âmes sensibles avec de belles valeurs familiales et un amour incommensurable des bébés.

Pourtant, ce racolage avec les enfants est souvent très risqué, car la plupart de ces hommes politiques, qui s'improvisent nounous d'occasion, font partie de la génération qui n'a jamais changé de couche ou appris à charmer un poupon. Souvenons-nous des hurlements de ce bambin suppliant ses parents de l'extirper des mains de Michael Ignatieff.

Il faudrait donc, à mon avis, enchâsser dans la convention relative aux droits de l'enfant, une interdiction formelle aux politiciens de les utiliser comme appâts pour taquiner l'électorat féminin. Une proscription qui serait étendue aussi au pape pendant ses bains de foule. Avec ses mains sur les têtes et ses bisous sur les fronts des bambins, le pape ne manque jamais, lui aussi, l'occasion d'étaler l'incomparable expertise du Vatican en matière de puériculture.

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