Les yeux d'un étranger sont parfois un miroir tendu à ceux que le confort et la routine ont rendus presque aveugles. En visite au Québec cette année, ma soeur m'a rappelé cette incapacité que nous avons à braquer le microscope sur les travers de nos propres coutumes.

Quand, de la savane sénégalaise, elle est débarquée au Québec, on l'a amenée dans le petit appartement familial, au rez-de-chaussée d'un immeuble à condos de la Vieille Capitale. Aussitôt intriguée par l'opacité des lieux, elle n'a pas tardé à me demander pourquoi on n'avait pas choisi d'habiter du côté de la bâtisse qui est exposée au soleil. 

Je lui ai alors expliqué qu'on n'avait pas les moyens d'acheter un condo illuminé parce qu'il fallait débourser un supplément de 60 000$ pour faire partie des chanceux qui ont droit à la lumière, et que dans ce type d'habitation, voir les couchers de soleil a un prix et admirer l'eau du fleuve de son balcon coûtait la peau des fesses.

Après un long silence méditatif, ma soeur m'a répondu: «Boucar, je ne pouvais jamais imaginer qu'il existe un pays où les gens doivent débourser l'équivalent de 20 ans de salaire au Sénégal juste pour voir les rayons du soleil entrer dans leur demeure. Imagine la tête que fera mon père quand il apprendra que tu as quitté la pauvreté et le soleil de plomb de la savane africaine pour vivre dans un endroit sombre, parce que tu n'as pas les moyens de voir la lumière dans ce pays riche.»

En vérité, je pense que même les pêcheurs gaspésiens des années 50 seraient surpris de voir que les maisons jouxtant les eaux du Saint-Laurent sont aujourd'hui si convoitées. 

Autrefois, disait mon beau-père originaire de Cap-Chat, vivre directement sur les rives de l'estuaire en Gaspésie n'était pas aussi recherchée à cause de l'exposition au vent froid. La mer était aussi pour les pêcheurs ce que le bureau est au fonctionnaire d'aujourd'hui. On avait hâte de la quitter et comme on ne voulait pas ramener la job à la maison, mieux valait la voir de loin.

Tout ça pour vous dire que l'espèce humaine semble habitée par un maudit gène de nostalgie qui l'amène constamment à tourner le dos à tout ce qu'elle a désiré ardemment, pour se réapproprier ce qu'elle trouvait jadis ringard et sans intérêt.

On s'est gratté le coco pendant des millions d'années pour inventer des vêtements et aujourd'hui, certains ont décidé de se remettre à poil dans des clubs privés parce qu'ils trouvent que le bonheur et le confort étaient finalement dans la nudité.

Ça nous a pris des millions d'années à découvrir le feu et aujourd'hui, les crudivores ont délaissé les fourneaux pour adopter un mode de vie sans cuisson. Imaginez si ces mangeurs de repas froids avaient été nos ancêtres Homo erectus! On n'aurait probablement pas encore découvert le feu.

On a inventé des techniques culturales sophistiquées pour produire des aliments à moindre coût, mais ce sont les légumes nourris de fumier, selon les méthodes ancestrales de jardinage, qui sont devenus nos produits de luxe.

On a inventé ce symbole de réussite sociale qu'est la voiture et aujourd'hui, toutes les énergies se mobilisent pour nous chanter les bienfaits de la marche et du vélo. Moi qui rêvais de l'Amérique dans la case de ma mère en Afrique, imaginez ma surprise lorsqu'une Gaspésienne m'a invité à faire du camping sauvage sans eau ni électricité! 

J'éprouvais presque l'envie de lui répondre que j'avais justement immigré au Québec pour ne plus vivre ce genre de souffrance et qu'un camping sauvage me rappelait trop un camp de réfugiés pour être un lieu de plaisance.

Pourtant, aujourd'hui, je suis aussi devenu un campeur. Savez-vous quoi? Je n'ai pas osé dire à ma soeur que je prends des tonnes de pilules de vitamine D pour remplacer l'empreinte du soleil africain sur mes gènes et que cette année, je me suis inscrit au salon de bronzage pour contrecarrer la dépression hivernale qui a déjà solidement ébranlé mon homéostasie.

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