J'ai vécu avec un grand-père qui enseignait que lorsque les conséquences anticipées sont plus élevées que le plaisir de dire ce qu'on pense, fermer sa gueule devient fortement recommandable. Alors au lieu de vous parler de la mafia, j'ai décidé de vous entretenir sur le pissenlit, un autre brigand venu de pays lointains, dont les activités souterraines déstabilisent l'homéostasie estivale de bien des banlieusards. Un insurgé des platebandes qui semble avoir emprunté ses méthodes de survivance à la mafia italienne.

Pour donner un peu de crédibilité à cette comparaison en apparence douteuse, je vais appeler en renfort un classique de la mythologie hellénique. Dans la sagesse occidentale, la référence à une divinité grecque restera toujours le plus court chemin pour transformer une pensée bien ordinaire en une doctrine sacrée et immuable. Souvenons-nous donc qu'après avoir tué le Minotaure, ce monstre chimérique qui dévorait des humains dans son labyrinthique, Thésée aurait mangé une salade de pissenlit. C'est peut-être pour cette raison historique que le gangster des pelouses est si puissant que nos policiers pourraient facilement percer les secrets de la Camorra en investiguant à quatre pattes dans les herbes cultivées qui avoisinent les bungalows de nos banlieues.

Le pissenlit est un immigrant venu des plaines de l'Eurasie. Il choisit de s'installer sur nos pelouses pour la même raison que la mafia montréalaise provient de la Petite Italie. Rongée par la nostalgie de la terre natale, la petite fleur jaune a trouvé son ghetto dans ses paysages plats et bien ensoleillés qui lui rappellent, selon l'écologiste Isabelle Aubin, sa steppe natale. Or, ce choix de vie ne fait pas toujours sourire les intégristes du gazon immaculé qui n'ont pas tardé à le déclarer persona non grata.

Mais comme tout bon expatrié, le profanateur de pelouse a rapidement compris que s'adapter ou périr reste la loi fondamentale de l'évolution darwinienne. À force de se faire traquer, écraser, pulvériser et arracher, la « mauvaise herbe » a appris à réinventer sans cesse ses activités de résistance.

Le premier ennemi que le pissenlit a appris à berner est la tondeuse à gazon. Pour cela, il place sa rosette de feuilles à ras de terre de façon à ce que ses parties vitales ne puissent être entamées par les lames les plus sophistiquées. Il sait aussi se montrer très courtois et séducteur avec les insectes pollinisateurs en leur présentant au bout d'un long pédoncule une hampe florale aux couleurs très vives et irrésistibles, ce qui accélère la formation de ses akènes flanqués de ce parachute plumeux nécessaire à sa multiplication.

Mais le plus fidèle allié des dents-de-lion restera ce bon vent qui voyage leurs semences sur des kilomètres, rendant leur éradication de nos pelouses quasiment impossible. Aussitôt un groupe d'insurgés mis hors d'état de nuire par les brigades antipissenlits, des semences venues d'ailleurs s'organisent déjà pour prendre la place des disparus. C'est cette inévitable réaction de substitution qui fait de la guerre aux pissenlits une lutte sans merci très énergivore.

Pour anéantir l'organisation du pissenlit, il faut s'attaquer à ses puissantes racines, symbole de son véritable pouvoir. Profondément ancrées dans la terre, les réserves accumulées de ce petit rhizome permettent à la plante d'intimider ses voisines et de détourner en sa faveur les richesses du sol pour mieux traverser la saison froide. Le printemps arrivé, le pissenlit profitera alors de ses importantes réserves pour germer rapidement et s'imposer  comme le parrain incontestable des pelouses et des platebandes. Pour éradiquer les activités souterraines des pissenlits, mieux vaut les manger régulièrement par la racine.

J'espère que cette histoire aidera la commission Charbonneau à découvrir le véritable rôle de la mafia, qui semble encore inexistante dans cette saga. Sinon, il ne nous restera plus qu'à souffler sur une boule blanche et duveteuse de pissenlit en espérant que le miracle se produise. Dans cette commission, la mafia est comparable à Dieu : tout le monde en parle, mais personne n'a rien vu.

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