La Suède change de cap : les dizaines de millions d’euros censés financer l’apprentissage numérique serviront plutôt à racheter des manuels scolaires en papier. Au Danemark, le ministre de l’Éducation se prépare à circonscrire le temps d’écran à l’école, par tranches d’âge, jugeant qu’il devenait malsain. Six remèdes au même mal pourraient améliorer le sort des élèves québécois. Survol.

1. Confisquer les écrans entre les cours

PHOTO ALAIN ROBERGE, ARCHIVES LA PRESSE

Interdire les écrans à l’heure du dîner est une mesure qui vise à favoriser la sociabilité entre les élèves et l’activité physique.

« Au dîner, on interdit l’ordinateur chez nos secondaire 1 et 2. On veut qu’ils parlent à leurs amis, qu’ils sortent, qu’ils jouent », signale Nicolas Mouradadé, directeur du centre de l’innovation du collège Sainte-Anne, situé à Lachine.

À l’Institut secondaire Keranna de Trois-Rivières, les élèves qui utilisent leur Chromebook le midi doivent le faire sous surveillance, à la bibliothèque ou dans une salle de travaux d’équipe. « En classe, il faut qu’ils déposent leur appareil sur un chariot avant d’aller s’asseoir, ajoute Julie L’Heureux, directrice générale. Ils le prennent juste quand c’est la consigne de l’enseignant, pour qu’on ne distille pas le poison en continu. »

Une autre école a banni la tablette aux pauses après avoir découvert la photo de cinq jeunes assis côte à côte, chacun sur son iPad. « Les écoles ne doivent pas avoir peur d’imposer des règles, même si ça ne se fait pas sans heurts », conseille Patrick Giroux, auteur de la photo et professeur de technologies éducatives à l’Université du Québec à Chicoutimi.

2. Entretenir l’écriture à la main

PHOTO SARAH MONGEAU-BIRKETT, ARCHIVES LA PRESSE

Lors de ses études sur le terrain, le professeur Patrick Giroux a constaté que « des jeunes en 6année ont physiquement de la misère à tenir un crayon 25 minutes. »

L’an dernier, l’enseignante d’éthique et culture religieuse Natacha Bernard a cessé de fournir des notes électroniques à ses élèves afin qu’ils écrivent dans un cahier. « Ils en arrachaient au début, parce qu’ils ne savaient pas quelles informations sélectionner. Mais ils les ont mieux retenues et ont mieux réussi aux examens. »

Au collège privé Saint-Sacrement de Terrebonne, les jeunes remplissent toujours un agenda papier à la main au lieu d’avoir un agenda électronique alimenté en continu par leurs enseignants. « On veut qu’ils apprennent à planifier leurs tâches eux-mêmes au lieu de tout organiser à leur place », explique le directeur des services pédagogiques, Jean-Philippe Gauthier.

Lors de ses études sur le terrain, le professeur Patrick Giroux a appris que « des jeunes en 6année ont physiquement de la misère à tenir un crayon 25 minutes, tellement ils ont fait de projets sur la tablette, en robotique, etc. » « Certaines écoles vont se rendre compte qu’elles sont allées trop loin, prédit-il, mais l’année d’après, elles vont s’ajuster. »

3. Changer les méthodes pédagogiques

PHOTO MARCO CAMPANOZZI, ARCHIVES LA PRESSE

Lorsque les élèves sont épaulés, la technologie peut favoriser la réussite, assurent les écoles privées.

« Le jeune n’écoutera sûrement pas s’il peut trouver sur Google un schéma qui montre exactement tout ce que tu veux lui expliquer en parlant 30 minutes, constate Patrick Giroux. Peut-être qu’on doit enseigner autrement pour avoir moins d’élèves distraits ! » Malheureusement, enchaîne-t-il, notre système d’éducation est « malade », alors trop d’enseignants n’ont ni le temps ni le soutien requis pour améliorer leurs compétences numériques.

Lorsque ces derniers sont épaulés, la technologie peut favoriser la réussite, assurent les écoles privées. « Avant, on encerclait les erreurs d’un élève en rouge, illustre Jean-Philippe Gauthier. Aujourd’hui, on peut lui envoyer une capsule audio pour lui expliquer en détail tout ce qu’il a à améliorer, et même faire apparaître des commentaires pendant la progression de son travail. »

4. Circonscrire l’apprentissage numérique

PHOTO IVANOH DEMERS, ARCHIVES LA PRESSE

Une utilisation modérée de l’ordinateur en classe permettrait aux élèves de mieux apprendre.

Devoir travailler sur un écran plusieurs heures par jour nuit « considérablement aux performances des élèves », peu importe « la préparation et l’expérience de l’enseignant en matière d’enseignement basé sur la technologie ». La fondation de recherche franco-américaine Reboot est parvenue à cette conclusion après avoir analysé une foule de données internationales.

« Les élèves du monde entier semblent obtenir les meilleurs résultats lorsqu’ils utilisent peu ou modérément les ordinateurs à l’école », précise son rapport de 2019 intitulé « La technologie éducative aide-t-elle les élèves à apprendre ? » On y lit qu’en France, la différence de performance en lecture entre les enfants trop exposés aux écrans et ceux qui n’utilisaient jamais de tablette en classe équivalait « à un niveau scolaire entier, soit une année entière d’apprentissage ». Mais une utilisation minimale de certaines applications de mathématiques a permis aux jeunes d’augmenter de plusieurs mois leurs connaissances. Selon l’une des études citées, au total, il ne faudrait pas dépasser une demi-heure par jour.

5. Favoriser les élèves en difficulté

« Les outils technologiques aident les élèves en difficulté d’apprentissage de manière sérieuse et réelle », assure Annie Primeau, de la Fédération autonome de l’enseignement, qui représente plus de 60 000 enseignants du secteur public. « S’il y a un combat à mener, c’est pour ces jeunes. Parce qu’ils se ramassent souvent avec des ordinateurs désuets, difficiles à mettre à jour, sans pavé tactile, port USB ou batterie autonome. »

Le matériel, les licences de logiciels et le soutien informatique engloutissent chaque année des fortunes. Mais le professeur Patrick Giroux estime que le réseau de l’éducation multiplie les dépenses superflues. « Si tout ce que les élèves feront, c’est rédiger un peu de texte, pourquoi enrichir Microsoft en achetant Office 365 au lieu d’utiliser Libre Office ? L’industrie du logiciel libre au Québec est en santé et on pourrait bénéficier de son expertise. »

6. Bloquer des sites

PHOTO DANIEL ACKER, ARCHIVES BLOOMBERG

Des sites de divertissement comme Netflix peuvent également avoir une pertinence pédagogique.

À l’arrivée des tablettes, les écoles prévoyaient d’empêcher leurs élèves de naviguer à leur guise. « Mais les jeunes ont toujours une longueur d’avance et contournent tout, cette solution a donc ses limites », constate Annie Primeau, de la Fédération autonome de l’enseignement. « Avec la création infinie de nouveaux sites, nos centres de services scolaires devraient passer leurs journées là-dessus ou bloquer l’internet complètement. C’est impensable ! Netflix permet de montrer des documentaires vraiment intéressants dans plusieurs matières, et YouTube peut aussi être très pertinent. »

En théorie, les enseignants peuvent utiliser leur propre tablette pour vérifier ce qu’affichent celles de leurs élèves, signale l’enseignante Natacha Bernard. « Mais ça gruge beaucoup de temps en classe pour leur faire mettre leur Bluetooth et c’est très énergivore pour la batterie. Alors c’est peu employé. »

La meilleure solution n’a ici rien de technologique. « Les profs circulent constamment entre les pupitres », rapporte M. Mouradadé.