Au Québec, les urgences ne débordent pas.

Bon, vous lisez cette affirmation et vous devez vous dire que l’équipe éditoriale de La Presse est tombée sur la tête. Mais attendez juste un instant avant de sortir le goudron et les plumes.

Laissez-nous compléter notre idée : les urgences ne débordent pas… ce sont plutôt les hôpitaux qui débordent.

On n’a pas inventé ce principe. C’est ce qu’expliquait le docteur Laurent Boisvert dans nos pages il y a 20  ans. Il était alors urgentologue à l’hôpital Charles-LeMoyne. C’était, disait-il, la bonne façon de poser le problème si on voulait le résoudre.

On ne l’a hélas pas fait.

Et ces jours-ci, les hôpitaux débordent de plus belle.

Résultat : les taux d’occupation des urgences, dans plusieurs établissements, sont inquiétants. Au point que des médecins affirment qu’on met la population « à risque ».

Au cœur de la tempête, le ministre Christian Dubé a annoncé mercredi la création d’une cellule de crise du Grand Montréal. Elle fera des recommandations pour les 25 urgences les plus problématiques.

PHOTO JACQUES BOISSINOT, LA PRESSE CANADIENNE

Christian Dubé, ministre de la Santé, lors d’une conférence de presse, mercredi à Québec

Saluons cette initiative. Elle est d’autant plus essentielle que la situation ne va pas aller en s’améliorant au cours des prochains mois.

Les virus respiratoires qui sévissent au Québec et ailleurs ne vont pas disparaître comme par magie, bien au contraire. Lorsque la température baissera et que nous devrons sortir nos tuques, attachons-les avec de la broche.

Mais revenons à cette cellule de crise. Ses membres auront tout avantage à envisager le problème comme celui de l’hôpital au grand complet, voire du système dans son ensemble.

Pas seulement celui des urgences.

Une fois ce diagnostic posé, il y a deux constats très simples à énoncer.

Premièrement, si l’hôpital déborde, ça signifie qu’il faut trouver des façons d’éviter qu’il se remplisse encore davantage.

Deuxièmement, ça veut dire qu’il faut tout faire pour qu’il se vide plus rapidement qu’il ne le fait actuellement.

Il est désespérant de voir qu’encore aujourd’hui, la première ligne (la porte d’entrée du réseau, notamment via les groupes de médecine de famille) n’arrive pas à faire son travail.

Il n’est pas normal qu’on se retrouve actuellement avec 52 % des visites aux urgences jugées « moins urgentes et non urgentes ». C’est le taux rapporté par le ministère de la Santé, dans l’ensemble du Québec, pour la semaine qui s’est terminée le 24 octobre.

Les hôpitaux ont aussi encore beaucoup trop de mal à rendre des lits disponibles sur les étages, ce qui empêche les malades des urgences d’y avoir accès assez vite. Une raison majeure, c’est que les patients qui n’ont plus besoin de soins hospitaliers représentent actuellement plus de 13 % de tous ceux qui se trouvent dans nos hôpitaux. C’est trop.

Ça s’explique aisément, notamment parce qu’on manque de place pour les aînés qui auraient besoin d’être transférés en CHSLD, dans un centre de réadaptation ou à domicile avec les soins requis. Mais c’est une situation intenable.

Tout ça aurait dû être réglé depuis longtemps. Mais ça n’a pas été fait et on se retrouve désormais avec deux nouveaux problèmes majeurs par rapport aux crises des dernières décennies.

D’abord, les cas traités sont nettement plus lourds. Pendant la pandémie, de trop nombreux patients ont dû reporter consultations et traitements. Et le système en paie aujourd’hui le prix.

Ensuite, il est de notoriété publique que la pénurie de personnel plombe la capacité hospitalière. Alors forcément, les urgences en souffrent. Il y a aussi moins de lits disponibles sur les étages parce qu’il n’y a pas, par exemple, suffisamment d’infirmières.

Christian Dubé a été mis à l’épreuve à plusieurs reprises depuis son arrivée au ministère de la Santé. Généralement avec succès. François Legault avait d’ailleurs clairement dit pendant la campagne qu’il confierait de nouveau à ce ministre les commandes de la santé.

En revanche, en ce début de deuxième mandat, c’est la première fois qu’on testera véritablement, de façon concrète, son plan de refondation du système de santé.

Rome ne s’est pas faite en un jour. Le système de santé québécois ne sera pas reconstruit en l’espace d’un mois par Christian Dubé. Ni même en une année. Ça va prendre du temps.

Mais il y a des raisons d’espérer quant à l’avenir de nos urgences.

Parmi ces raisons, notons que le ministre demeure très près du terrain. Il a passé deux jours à visiter des urgences la semaine dernière. Écouter les professionnels de la santé est essentiel. Leur redonner espoir aussi.

Il semble aussi avoir assimilé depuis un certain temps que c’est le débordement des hôpitaux qui fait le malheur des urgences. C’est de bon augure.

Enfin, s’il a créé une cellule de crise, c’est aussi parce qu’il a compris qu’on ne peut pas attendre que toutes les solutions évoquées dans son plan (les guichets d’accès à la première ligne, par exemple) soient implantées et pleinement opérationnelles pour venir en aide, à court terme, aux urgences.

Elles ont besoin de pansements pour arrêter le saignement dès maintenant… en attendant que le système au grand complet passe en salle d’opération.