Le 14 juillet dernier, jour de commémoration de la prise de la Bastille, le président français Emmanuel Macron a proposé aux Français une nouvelle révolution : la sobriété.

Mais non, il ne parlait pas d’alcool…

Il parlait plutôt de « sobriété énergétique ». Une idée encore souvent considérée comme radicale, mais qui, à la faveur de la situation dans laquelle se trouve désormais l’Europe, devient aujourd’hui envisageable.

Les efforts que les Français et les Européens appliquent en ce moment pour réduire leur consommation d’énergie et limiter le réchauffement de la planète ne suffiront pas pour qu’ils puissent passer l’hiver. Un autre enjeu – géopolitique celui-là — les oblige à redresser dès maintenant la barre : se sevrer de leur dépendance au gaz naturel russe.

Le président Macron a lancé un objectif : réduire de 10 % la consommation d’énergie d’ici deux ans, par rapport à 2019.

Il ne suffira donc pas de consommer plus efficacement. Il faudra consommer moins, point. La sobriété, en alcool comme en énergie, ne signifie pas nécessairement l’abstinence, mais elle s’oppose à une consommation excessive. À un « état d’ébriété » énergétique.

De fait, les Français peuvent se rassurer : les sacrifices qu’on leur demande ne sont pas si contraignants. « On va essayer de faire attention collectivement le soir aux éclairages qui sont inutiles », a dit Emmanuel Macron. Ceux dans les bureaux, ceux des vitrines de magasins, notamment. Mais aussi, on recommande de régler le chauffage à 19 °C et la climatisation à 26 °C.

Rien de trop douloureux jusque-là.

L’ironie… c’est que bon nombre de ces mesures existent déjà dans la loi française. Le plan de sobriété, a précisé le ministère de la Transition énergétique, sera de « faire appliquer ce qui est dans la loi ».

Pour une révolution, ça en est toute une !

Mais s’il faut parler de révolution, c’est surtout par le seul fait d’entendre le mot « sobriété » dans les propos d’Emmanuel Macron.

Dans tout le discours de la lutte contre le réchauffement climatique, la « sobriété énergétique » fait partie des mots controversés comme ceux de « décroissance ». Parler de sobriété, c’est souvent s’exposer à se faire traiter d’anticapitaliste et de rétrograde. Ou, comme s’est moqué M. Macron lui-même en 2020, d’adepte du « modèle amish » qui prône le « retour à la lampe à l’huile »…

Emmanuel Macron a surtout été de ceux qui affichent une confiance dans le « solutionnisme technologique », l’idée selon laquelle les nouvelles technologies pourront résoudre les problèmes complexes comme celui du dérèglement climatique.

En adoptant son plan de sobriété, le président français vient donc de reconnaître que la surconsommation en énergie ne se réglera pas en trois clics grâce à une nouvelle appli de la Silicon Valley. Il fait d’une idée radicale une avenue valable, applicable, réaliste.

En quelque sorte, il a déradicalisé la sobriété.

Cette perception finira par trouver un écho chez nous. Qui osera qualifier la sobriété énergétique de lubie d’écologiste extrémiste ?

Le Canada n’est pas dans la situation précaire de l’Europe quant à son approvisionnement énergétique. De l’électricité, du pétrole et du gaz, il n’en manque pas sur le continent. Et on ne s’en prive visiblement pas : les Canadiens consomment deux fois plus d’énergie par personne que les Français*…

Au Québec, le mot « sobriété » est encore bien peu évoqué. On préfère parler d’« efficacité énergétique », qui n’implique pas une diminution de la consommation. On s’emballe pour l’électrification des transports, la production alimentaire en serre ou l’hébergement de centres de données informatiques (et autres patentes à cryptomonnaies), alors qu’il faudra bien trouver tous ces nouveaux mégawatts quelque part.

Ce n’est pas parce que le cellier est plein qu’on doit se soûler tous les soirs…

En attendant, en France, maintenant que la question « doit-on adopter la sobriété ? » a été réglée, la conversation peut se poursuivre à un autre niveau.

Qu’est-ce qui entre dans la « logique de sobriété » ? Publier une « météo de l’électricité », pour savoir à quel moment il faut faire particulièrement attention à la consommation ? Réduire la vitesse sur les routes à 110 km/h (!) pour éviter de surconsommer l’essence ? Instaurer le télétravail sur trois jours ? Diminuer le coût des transports en commun ? Imposer des « dimanches sans voiture » dans les villes ? — une proposition, on le précise, qui vient non pas de Greenpeace, mais bien de l’Agence internationale de l’énergie !

Des débats qu’on aura intérêt à suivre de près, du coup.

* Selon les chiffres de 2019 de l’AIE, le Canada consomme 340 gigajoules (GJ) d’énergie par an par personne, et la France, 150 GJ. Ces données représentent l’énergie pour faire fonctionner les industries, les commerces, les institutions, le transport, les bâtiments résidentiels et l’agriculture.