Le message de bienvenue est sincère : l’implantation d’une usine de vaccins par Moderna à Montréal est une excellente nouvelle pour la métropole et la province en entier.

Le type de nouvelle qui commande de sortir la bouteille qu’on réserve pour les grandes occasions.

Des usines, il en vient et il en va dans le paysage industriel d’une ville. Mais ce qui se passe ici est beaucoup plus que l’inauguration d’une simple manufacture.

En vrac, cette annonce est tout à la fois :

– Une police d’assurance faisant en sorte que les Canadiens auront accès à des vaccins lors de la prochaine pandémie.

– Un signal que Montréal est de retour dans le secteur des sciences de la vie.

– Une occasion unique pour nos chercheurs de se frotter à une technologie de pointe particulièrement prometteuse.

– Un pont entre la recherche scientifique et la commercialisation, une lacune historique du Québec.

Commençons par ce qui nous touche le plus directement : notre approvisionnement en vaccins. La pandémie a montré à quel point nous sommes dépendants des autres pays à cet égard. Or, force est d’avouer que nos gouvernements ont réagi.

On a hâte de scruter les détails des contrats. Mais on sait que pour attirer Moderna chez nous, le fédéral lui a promis une chose : acheter une partie de sa production (le provincial, lui, a fourni une aide économique encore non dévoilée).

En plus de Moderna, on pourra compter sur la nouvelle usine de vaccins montréalaise du Conseil national de recherches du Canada, qui s’apprête à accueillir le fabricant Novavax.

Et même si Medicago a des ennuis avec l’Organisation mondiale de la santé à cause de la présence d’un cigarettier parmi ses actionnaires, l’entreprise planche sur une usine de classe mondiale à Québec qui devrait pouvoir nous fournir des vaccins d’ici quelques années.

Ça commence à ressembler à une solide stratégie d’approvisionnement local.

En parallèle, l’arrivée de Moderna à Montréal pourrait bien être l’allumette qui ravive le secteur des sciences de la vie de la métropole. Un secteur qui est loin d’être mort, mais qui a perdu de sa superbe depuis la fermeture des grands laboratoires de recherche, il y a une douzaine d’années.

Le montant des investissements (180 millions de dollars) et le nombre d’emplois promis (quelques centaines) ne paraissent peut-être pas si mirobolants.

Mais Moderna était très courtisée et le choix de Montréal est un témoignage de confiance envers le talent local. Il vient aussi signaler à l’industrie pharmaceutique mondiale que la métropole est un endroit intéressant pour brasser des affaires.

Dans les coulisses, les démarcheurs qui tentent d’attirer des entreprises ici confirment d’ailleurs un « effet Moderna ». Plusieurs autres dossiers sont en discussion, dont celui d’une usine de biofabrication encore plus imposante à Laval.

Ce qui est clair, en tout cas, c’est que Moderna sera un soleil autour duquel tournera tout un système de collaborateurs et de fournisseurs.

Dans les labos universitaires, le moral est aussi à la fête. Moderna a déjà annoncé un partenariat avec l’Université McGill et d’autres universités comptent en tirer profit.

L’entreprise américaine, on le sait, a cogné un coup de circuit avec son vaccin contre la COVID-19 à base d’ARN messager. Mais plusieurs estiment que cette technologie n’en est encore qu’à ses balbutiements et qu’il reste un grand potentiel à en tirer.

Ces séquences d’ARN livrées dans le corps par des nanoparticules de lipides pourraient conduire à d’autres vaccins, mais aussi à des thérapies contre les maladies rares et le cancer.

« Moderna peut produire l’ADN, mais elle a besoin d’un écosystème de recherche pour développer les applications et faire les expériences en laboratoire », explique Jean-François Côté, directeur d’une unité de recherche à l’Institut de recherche clinique de Montréal.

Depuis des décennies, le Québec brille en recherche, mais peine à commercialiser ses innovations. Moderna est exactement le genre d’acteur capable de faire ce pont.

Malgré l’enthousiasme légitime, il reste toutefois des questions en suspens.

On ignore encore quel genre de tapis ont déroulé les gouvernements pour attirer l’entreprise-vedette chez nous. C’est lorsque les conditions seront dévoilées qu’on pourra évaluer si l’on s’est montré trop généreux.

Devant cette annonce, il faut aussi rappeler à quel point les sociétés pharmaceutiques ont pensé à leurs profits plutôt qu’au bien commun depuis l’apparition de la COVID-19, refusant par exemple de faire partager leur expertise pour que davantage de vaccins soient fabriqués dans le monde.

De colossales subventions en recherche publique et universitaire se sont transformées en profits privés, particulièrement dans le cas de Moderna.

L’entreprise nous refera-t-elle le coup ici ? Comment la propriété intellectuelle sera-t-elle gérée entre nos universités et Moderna ?

On comprend que les gouvernements provincial et fédéral étaient mal placés pour poser ces questions. Après tout, ils étaient en campagne de séduction pour attirer l’entreprise.

Mais il reste un malaise à voir nos gouvernements faire toujours des courbettes devant les grandes entreprises pharmaceutiques, sans oser aborder les sujets délicats.

Il faut donc se réjouir de l’arrivée de Moderna à Montréal. Mais cet enthousiasme ne doit pas nous empêcher de poser des questions.

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