Il est très instructif, le rapport confidentiel obtenu récemment par nos collègues du bureau de La Presse à Ottawa sur l’état des institutions démocratiques canadiennes et les menaces auxquelles elles s’ont exposées.

Pour la première fois, on lit noir sur blanc qu’on s’inquiète, au sein du gouvernement fédéral, de l’« érosion de la satisfaction à l’égard de la démocratie dans la plupart des régions du monde ».

On s’en inquiète parce qu’on a compris, avec raison, que le Canada n’est pas à l’abri de ce phénomène. Et on signale notamment que ce qui s’est passé aux États-Unis après la plus récente élection présidentielle « doit servir de mise en garde ».

On cite par exemple une étude du Centre pour l’avenir de la démocratie de l’Université de Cambridge, publiée en 2020, qui « révèle une érosion de la satisfaction à l’égard de la démocratie dans la plupart des régions du monde, avec une baisse particulièrement marquée au cours des dix dernières années ».

Notons que la plus récente évaluation de l’état de la démocratie mondiale, effectuée par The Economist Intelligence Unit – dont les résultats ont été publiés il y a quelques semaines –, va dans le même sens. Et elle confirme que le Canada a perdu des plumes. Au cours de la dernière année, il a glissé de la 5e à la 12place (sur 167, l’Afghanistan occupant la queue du classement).

Précision au sujet du rapport du gouvernement fédéral : il a été rédigé l’an dernier. Bien avant l’étude de The Economist Intelligence Unit. Avant, aussi, que des manifestants assiègent la ville d’Ottawa. Et avant même que certains d’entre eux ne disent ouvertement vouloir renverser le gouvernement élu démocratiquement quelques mois plus tôt.

En ce sens, le rapport était presque prémonitoire. Dans la foulée de l’occupation d’Ottawa, il est d’autant plus important que ce document ne se retrouve pas sur une tablette.

Le ministre fédéral des Affaires intergouvernementales, Dominic LeBlanc, à qui le rapport a été remis, aurait tout avantage à le diffuser à plus grande échelle. En commençant par en faire circuler des exemplaires au Parlement.

Car non seulement il contient des avertissements dont il faudrait tenir compte, mais on y trouve aussi certaines des solutions qui auraient pour effet, en quelque sorte, de vacciner la démocratie canadienne.

Le gouvernement doit faire preuve d’« un dévouement sans faille à l’égard des citoyens » et régler les problèmes qui les préoccupent, estiment les auteurs du rapport.

Ils énoncent ensuite une liste des principes sur lesquels le gouvernement devrait s’appuyer :

  • mettre l’accent sur les enjeux que les Canadiens jugent prioritaires ;
  • offrir des services publics réactifs de grande qualité auxquels les Canadiens peuvent se fier ;
  • faire mieux que les pays semblables pour ce qui est de la prestation de services clés ;
  • reconnaître les erreurs commises par les institutions, les corriger et travailler sans relâche pour démontrer que les erreurs ne se répéteront pas afin de convaincre les citoyens que le gouvernement mérite toujours leur confiance.

Un aide-mémoire pratique qui devrait être accroché avec un aimant sur le frigo de chaque ministre !

Le problème, bien sûr, c’est qu’il y a aussi des causes extérieures à la crise démocratique et à la perte de confiance à l’égard de notre système politique.

Si le rapport a une faiblesse, c’est qu’il ne met pas assez l’accent sur ces facteurs (concentration de la richesse et accroissement des inégalités, insécurité économique, émergence de politiciens et de personnalités médiatiques aussi populaires que populistes qui dénigrent la démocratie, désinformation à laquelle les géants du numérique contribuent avec enthousiasme, etc.).

Le problème – très sérieux – de la désinformation, par exemple, est bel et bien évoqué dans le rapport. Mais sur le plan des solutions, on se contente d’évoquer un appui aux initiatives qui visent à la contrer. C’est trop vague.

D’autant que la désinformation et ses ravages méritent de façon pressante une réponse autrement musclée que celle offerte actuellement par nos élus.

Comme le faisaient remarquer les politologues Steven Levitsky et Daniel Ziblatt il y a quelques années, les démocraties meurent désormais, de façon générale, entre les mains de dirigeants élus « qui corrompent le processus même qui les a portés au pouvoir ».

Pour éviter ce genre de scénario, il est crucial de freiner l’érosion de la satisfaction à l’égard de notre démocratie. Les manifestations de janvier et février à Ottawa et ailleurs au pays nous ont certainement prouvé que se contenter de faire preuve de vigilance n’est pas suffisant.

Notre système est assurément plus robuste que celui de nos voisins américains, mais ici aussi, la démocratie est fragile.